Cameroun: 40 ans de manipulations du calendrier électoral

Cameroun: 40 ans de manipulations du calendrier électoral

En orchestrant, en juillet, le report des législatives et municipales prévues en 2025, pour ne laisser dans l’agenda que l’élection présidentielle, le chef de l’État camerounais reste fidèle à une tradition : dicter à sa discrétion, à coup d’arguments divers, le rythme de la vie politique du pays. Quitte à susciter les dénonciations de ses adversaires.
Fin d’un vrai-faux suspense. Un décret présidentiel du 24 juillet 2024, et une loi promulguée le même jour, sont venus confirmer ce que les observateurs subodoraient : la prorogation des mandats des conseillers municipaux, et des députés respectivement jusqu’au 31 mai, et 30 mars 2026. Ces deux catégories d’élus étaient en fonction depuis 2020, pour une durée de cinq ans.

Conséquence : le Cameroun se prépare à une élection présidentielle en 2025. Le gouvernement explique le report des législatives et municipales, par la nécessité d’un « allègement du calendrier électoral », et l’importance d’un « déploiement humain, matériel et financier », qu’aurait impliqué l’organisation en 2025, l’élection des députés, des conseillers municipaux et du président de la République.

Des forces d’opposition ne sont pas convaincues par de tels arguments. « On ne peut que relever l’incongruité de l’argument financier convoqué par le Rdpc [Rassemblement démocratique du peuple Camerounais, au pouvoir, Ndlr] au regard du coût financier d’une prorogation du mandat des députés d’un comparativement aux dépenses liées à l’organisation de plusieurs scrutins », dénonçait, début juillet, dès la divulgation de ce projet, Jean Michel Nintcheu, député, président du Front pour le changement au Cameroun ( Fcc).

Le Cameroun n’en est pourtant pas à sa première expérience de chamboulement du calendrier électoral, à l’initiative du président de la République. Ce-dernier opère selon deux registres depuis quarante ans : les anticipations et les reports des dates des élections. Si l’on excepte les présidentielles (1997, 2004, 2011, et 2018), les législatives (1997, 2002, 2007), et les municipales (2007), le tableau est édifiant.

Le 14 janvier 1984, Paul Biya, qui a succédé à Ahmadou Ahidjo depuis le 6 novembre 1982, selon les mécanismes constitutionnels alors en vigueur, remporte la toute première élection anticipée dont il a décidé de la tenue. « Destinée en 1984 à ancrer dans le suffrage populaire le pouvoir dévolu selon les modalités institutionnelles par le haut, la formule de l’anticipation sera progressivement transformée en une technique de régulation politique rendant particulièrement imprévisibles, parce que dépendant du seul président de la République, les battements de la vie politique et le calendrier électoral », rappelle un politologue respecté.

Paul Biya n’achève pas ce mandat fondateur de son long règne à la tête de l’État. Initialement élu pour cinq ans, il est réélu le 24 avril 1988, au terme d’un scrutin anticipé. Il récidive en gagnant, avec près de 40% des suffrages, selon des chiffres officiels et controversés, la toute première élection de la nouvelle ère du multipartisme, tenue le 11 octobre 1992. Il s’agit aussi d’une élection anticipée, dans le but de « parachever le processus de démocratisation et de recentrer l’effort national autour des enjeux socio-économiques majeurs », selon le discours officiel. Le 1er mars de la même année, le pays avait déjà vécu des législatives anticipées, dans un contexte politique marqué par des revendications populaires pour la restauration du multipartisme, qui avaient considérablement affaibli le régime de Paul Biya. Notable changement : depuis la Constitution de 1996, le président de la République ne peut plus anticiper la tenue d’élection présidentielle.
Restent les occurrences des prorogations des mandats des députés et des conseillers municipaux prévues par les lois : une technique de report des élections dont le président Biya sait user depuis de longues années. Ce qui aura abouti au double report des municipales prévues en 1992, mais finalement tenues en janvier 1996. De même, l’élection des conseillers municipaux, programmée en 2001, se tint un an plus tard, tandis que le même type de scrutin eut lieu en 2013, au lieu de 2012, avant que l’on ait droit aux municipales de 2020, pour une échéance initialement attendue en 2018.

L’élection des députés n’est pas en reste. C’est ainsi que les législatives prévues en 2012, eurent lieu un an plus tard, et que celles espérées en 2018, se tinrent 2020.

Cette gestion du calendrier électoral est entourée de vives polémiques sur ses enjeux. Le gouvernement met en avant la légalité et le bien-fondé des initiatives présidentielles. L’opposition a une tout autre lecture. D’après elle par exemple, la récente prorogation du mandat des députés « n’est qu’une grossière manœuvre visant à tenter d’exclure de la course, le candidat du peuple du Changement et de l’Alternance [Maurice Kamto, classé officiellement deuxième à la présidentielle de 2018, leader du Mouvement pour la renaissance du Cameroun, parti qui ne dispose pas d’élus, une des conditions être candidat à l’élection présidentielle, Ndlr] », s’indigne Jean-Michel Nintcheu.

« Ceux des adversaires du président Paul Biya qui l’accusent sur ces questions sont dans leur rôle d’opposants. Cette posture étale au-devant de la scène les différences d’appréciation sur le plan éthique, susceptibles d’influencer, en période préélectorale, le comportement d’électeurs non majeurs politiquement », analyse Joseph Vincent Ntuda Ebode, politologue à l’Université de Yaoundé II-Soa. Et le géostratège de préciser : « En prenant la décision de repousser ou d’anticiper une élection, l’autorité en charge tient compte de plusieurs critères, parmi lesquels son propre état comparé à celui de ses adversaires politiques, la disponibilité des moyens nécessaires à l’organisation d’une élection, la conjoncture et le temps politique mondial. Si l’on peut donc admettre que le facteur état de l’opposition (dont Maurice Kamto est un élément), peut jouer, on ne peut dire, d’un point de vue de la science politique, que ce n’est que ce facteur qui explique et motive de telles décisions ».

Une certitude : le dévoilement progressif des stratégies d’acteurs est en marche pour la présidentielle de 2025.

Petit Ba

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *