Fodé Sylla : « Les Sénégalais sont des électeurs, pas des émeutiers »
Tribune. Jeune démocratie qui vient de célébrer ses 63 ans, le Sénégal connaît aujourd’hui l’une de ses plus fortes crises politiques et sociales. Si chaque pays se considère à part, le Sénégal est peut-être un peu plus, il est une exception. L’exception d’un pays qui a eu un premier président chrétien à la tête d’un Etat composé à 90 % de musulmans. L’exception d’un pays rassemblé dans une République laïque. L’exception d’un pays qui parle au monde entier et à qui le monde entier parle.
Cette exception mérite que l’on parle avec justesse de ce qui se passe au Sénégal. La mort de seize personnes [vingt-trois, selon Amnesty International] au cours des violences qui ont déchiré le pays début juin redouble ce devoir de justesse et de justice.
Des opinions s’affrontent pour parler de la situation. C’est normal et c’est même nécessaire. Le Sénégal est un pays qui aime et qui sait débattre de politique, de football, de religion. Des personnalités telles que Boubacar Boris Diop, Felwine Sarr et Mohamed Mbougar Sarr ont durement critiqué la présidence de Macky Sall dans une tribune publiée le 5 juin sur le site Seneweb. Ils ont le droit d’enflammer la discorde. Nous avons le droit de rechercher la concorde dans notre pays, d’abord en les écoutant, ensuite en les convainquant que l’arrêt des violences était le préalable à atteindre au plus vite.
D’autres personnalités comme l’historienne Penda Mbow ont fait valoir que le véritable enjeu était d’abord la question sociale et alerté sur les risques de fracture du pays. 70 % des Sénégalais ont moins de 30 ans, leur destin n’est pas de se retrouver dans la rue pour détruire mais dans les lieux de formation pour bâtir.
Faire preuve de retenue
Le monde parle du Sénégal, certains pays veulent avoir plus que leur mot à dire, ils veulent s’ingérer. Le sort de la jeunesse sénégalaise ne les intéresse pas. Les réserves de gaz et de pétrole sont le motif de leur convoitise. Quand la géopolitique déborde dans la rue, c’est toujours le peuple qui y perd. A une autre échelle, des députés français adoptent des postures de défenseurs d’une jeunesse qu’ils ne connaissent pas et d’un pays qu’ils connaissent mal.
Leurs appels à l’insurrection sur les réseaux sociaux sont irresponsables et témoignent d’un néocolonialisme qu’il serait grand temps de déconstruire. Ils réduisent les Sénégalais à des émeutiers, sans considération pour les Sénégalais comme électeurs. Dans leur aveuglement, ils ne voient pas qu’ils prennent aussi le parti d’une xénophobie antifrançaise qui excite les émeutiers.
Nous attendons de celles et ceux qui respectent le Sénégal de se comporter comme des amis du Sénégal. Face à des familles en deuil, dans un pays blessé et fracturé, des véritables amis appellent au dialogue et à la paix, pas à la discorde, ni à l’émeute, ni à l’insurrection. Celles et ceux qui aiment le Sénégal ne sont pas du côté de l’émeute, ils sont du côté du peuple et respecteront le choix du peuple qui vote. Ils nous souhaitent la paix.
Nous sommes profondément attachés à la longue tradition de démocratie, de paix et de stabilité de ce pays. Nous appelons une nouvelle fois tous les Sénégalais à faire preuve de retenue, à s’abstenir de toute violence et à finir cette crise par le dialogue. Personnellement, j’ai confiance dans la capacité du peuple sénégalais à résoudre cette crise, à sortir de ce moment difficile, par le dialogue afin que les élections de 2024 puissent se dérouler dans le respect des règles de la démocratie, du droit et de la tradition de ce pays.
Proposer des solutions ambitieuses
Macky Sall n’a pas dit qu’il briguerait un second quinquennat qui viendrait se rajouter au premier septennat. S’il avait cette ambition, la Constitution la lui permettrait. Cette opportunité politique est une question que seul lui doit trancher et en mesurer tous les aspects. Laissons donc le dêmos, le peuple sénégalais, en décider. Il lui revient, en votant, de dire s’il approuve une nouvelle élection de Macky Sall à partir de son bilan et de son programme ou s’il préfère un autre candidat.
Les Sénégalais voteront selon l’offre politique et, de mon point de vue, rien n’est fait, rien n’est acquis. La présence des femmes dans l’espace public, les médias, l’Assemblée, la diplomatie permet aussi de se demander pourquoi le prochain président ne serait pas une présidente. Toutes ces questions politiques se poseront aux Sénégalais au temps de l’élection. En attendant, rappelons-le au monde entier, les Sénégalais sont des électeurs, pas des émeutiers.
Les Sénégalais voteront d’autant plus qu’on leur proposera des solutions ambitieuses. Pour répondre aux demandes urgentes de la jeunesse, je propose un service civique national et le lancement d’un revenu universel de 10 000 euros (6,5 millions de francs CFA), sous forme de donation unique, financés par les revenus tirés de l’exploitation des réserves de pétrole et de gaz.
Pour les 300 000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi, considérons la formation comme un investissement et non comme une dépense, afin de les amener vers les métiers de la technologie, de l’agriculture, de l’environnement et de la culture. Je lance ainsi un appel pour un droit à la mobilité internationale avec la mise en place d’un Erasmus Afrique-Europe-Monde pour des étudiants en apprentissage et en formation professionnelle. C’est de ce genre d’idées et de projets dont ont besoin les Sénégalaises et Sénégalais. Respectons leur choix de voter et respectons le vote de leur choix.