Présidentielle au Sénégal : comment faire du 3 juillet 2023 une date historique…
Pour la première fois dans l’histoire du pays, une présidentielle se déroulera sans le chef de l’État sortant. Pour Abdou Souleye Diop, associé gérant de Mazars au Maroc, c’est l’occasion de pousser les acteurs politiques à promouvoir de vrais projets de société.
Associé gérant du cabinet d’audit et de conseil français Mazars au Maroc – Membre du board de Mazars pour l’Afrique et le Moyen-Orient.
Le lundi 3 juillet est à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire moderne de la République sénégalaise. La symbolique n’est pas tant dans la décision d’un président républicain qui, au-delà des textes, décide de respecter l’esprit de la Constitution et la parole donnée, mais plutôt dans tout le cataclysme que cette décision engendre au sein du landernau politique sénégalais.
Fonds de commerce dynamité
Quatre conséquences ont le plus retenu mon attention. D’abord, le fonds de commerce de l’opposition a été dynamité. Depuis l’année 2000, l’ensemble de nos joutes électorales se focalise sur des débats de textes : si ce n’est pas le fichier électoral (2000, 2007), c’est la légitimité du parrainage (2019), mais surtout, de manière plus virulente en 2012 et 2024, la conformité constitutionnelle de la candidature du président sortant.
Quand, dans beaucoup de démocraties, nous nous délectons des débats d’idées, de programmes, de modèles de société, la politique sénégalaise s’est focalisée depuis plus de vingt ans sur les débats de personnes, de textes ou d’application de la Constitution. Depuis deux ans, toute l’énergie de l’opposition sénégalaise s’est cristallisée autour de la légitimité de la candidature du président Macky Sall. En un discours, ce fonds de commerce très mobilisateur des foules a fondu comme neige au soleil en réduisant au silence tous ceux qui en avaient fait leurs choux gras, une véritable gueule de bois.
Le soulagement des patriotes
Ensuite, le soulagement de tous les patriotes qui avaient peur de perdre les acquis de la démocratie. Les réactions multiples saluant sur les réseaux sociaux ou dans les médias cette décision historique mais tout à fait normale dans un cadre démocratique et républicain, portant son auteur au Panthéon à côté de Senghor, Mandela, etc., sont le contrecoup naturel de toute la peur que nos compatriotes avaient de voir ce modèle démocratique sénégalais mis à mal aux yeux du monde. La démesure des réactions n’est que le reflet de cette angoisse profonde qui n’aurait que trop perduré.
La troisième conséquence est le désarroi de tous les partisans d’un « second quinquennat ». Beaucoup d’acteurs de la majorité présidentielle, sous le couvert d’une nécessité de poursuivre les projets et la belle trajectoire engagée, se sont érigés en promoteurs ou en défenseurs de la candidature présumée du président sortant.
Au moment où le chef de l’État lui-même intimait ses troupes de ne pas aborder le sujet, ces plus royalistes que le roi ont pris l’initiative d’en être les défenseurs, nous poussant à nous poser des questions sur leurs réelles motivations : intérêts de la nation ou intérêts personnels ? Que de désœuvrés aujourd’hui qui, pour certains, commencent déjà à chercher une bouée à laquelle se raccrocher !
Le roi est mort, vive le roi !
Dernière conséquence, le roi est mort, vive le roi ! La non-candidature du président Macky Sall, annoncée dans ce vibrant discours historique (que personnellement je considère comme étant le meilleur discours jamais prononcé par le chef de l’État), a également eu comme conséquence de faire sortir du bois de nombreux politiciens et technocrates qui voient en cette situation inédite une réelle opportunité.
En effet, pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, une élection se déroulera sans le président sortant. Entre ceux qui se considèrent comme les héritiers légitimes de l’APR, les ambitieux des partis alliés de Benno Bok Yakaar, ainsi que tous ces technocrates qui, depuis le scandale inacceptable de l’ouverture de la législature parlementaire, ont compris qu’il était essentiel de s’impliquer en politique, nombreux seront ceux qui auront la prétention de concourir à la magistrature suprême. Les ajustements constitutionnels découlant du dialogue national vont certainement jouer le rôle d’arbitre pour calmer les ardeurs ou provoquer l’inverse.
Et maintenant…
Le Sénégal est maintenant à un tournant doublement décisif pour son émergence. Tout d’abord, un tournant politique où, à six mois des élections, personne ne peut parier sur qui sera candidat ou non, que ce soit dans l’opposition ou dans la mouvance présidentielle. Ensuite, un tournant économique, où le futur président devra gérer, de manière stratégique et dans le meilleur intérêt des populations, les premiers revenus du pétrole et du gaz. Dans ce contexte, le choix de la personne sur laquelle les Sénégalais porteront leur suffrage devra se faire avec la plus grande maturité.
Il faudrait tirer profit de ce contexte pour faire totalement évoluer notre jeu politique et pousser les acteurs à poser sur la table de vrais projets de société inclusifs dans lesquels les populations se retrouvent. Le peuple sénégalais mérite que tout candidat qui souhaite diriger la magistrature suprême se triture les méninges pour mettre sur la table sa vision du Sénégal de demain, le modèle de société qu’il compte laisser aux générations futures. Essayer d’instrumentaliser les populations autour d’oppositions de personnes ou de la promotion d’un certain nihilisme, ou encore escompter acheter les votes des populations par la mobilisation de moyens financiers, tout cela, de mon point de vue, constitue un manque de considération envers la capacité de discernement de nos concitoyens.À LIREAu Sénégal, pas de plan B pour le parti d’Ousmane Sonko
Les prochaines semaines nous éclaireront sur l’orientation que les uns et les autres voudront donner à notre vie politique et sur notre capacité à produire des dividendes du contexte actuel : union ou désintégration de la majorité présidentielle ; posture de l’opposition ; mobilisation des technocrates et des ressources de qualité dont regorge notre pays ; recentrage sur les débats de la société.
Tout l’enjeux sera de changer de paradigme, d’aller au-delà des intérêts crypto-personnels et de se mobiliser pour apporter les projets de société qui vont nous permettre de construire ce Sénégal que nous voulons pour le bien-être de nos populations. C’est justement en y arrivant qu’on donnera à ce 3 juillet la dimension qu’il mérite dans l’histoire du Sénégal.
Abdou Souleye DIOP