Amadou Ba, un monstre froid au pouvoir, l’Apr piégée !

Amadou Ba, un monstre froid au pouvoir, l’Apr piégée !

Vous l’aurez compris sans doute, le titre de la contribution fait référence à celui de notre cher professeur, Abdou Latif Coulibaly, quand il prédisait la gestion chaotique de Abdoulaye Wade à la tête du Sénégal, dans : «Abdoulaye Wade, un opposant au pouvoir, l’alternance piégée.»

Cette réflexion n’a toutefois pas la prétention d’avoir la même étoffe ni la même allure que l’ouvrage de Latif, mais peut être qualifiée de lecture météorologique de la politique sous nos tropiques. En effet, comme d’aucuns le pensaient, le Premier ministre Amadou Ba a été choisi pour conduire la Coalition Benno bokk yaakaar à la Présidentielle de 2024. Un choix difficilement contestable au regard de la crise de confiance qui secoue la coalition au pouvoir et l’impréparation de la «succession» dont elle a été victime.

Macky Sall veut partir, mais souhaite assurer ses arrières en nous laissant un «candidat sûr», qui pourrait éventuellement être élu au soir du 25 février 2024 et qui s’inscrit dans la continuité. Une bonne partie de Benno applaudit, une autre rouspète, tandis qu’une portion, plus congrue, désapprouve ouvertement le choix. Comme quoi Amadou Ba part à la compétition électorale sans être sûr d’emporter l’adhésion de l’ensemble de son principal appareil politique.

Mais Macky Sall, président de la coalition, semble convaincu de son choix et en fin politicien, il a dû mûrement peser le pour et le contre pendant plusieurs mois. Parce que tout autre choix aurait pu secouer la Coalition Benno bokk yaakaar et les cascades de démission auraient été certainement plus retentissantes. Donc jusque-là, tout semble aller dans le sens souhaité par Macky Sall, d’autant plus que les récalcitrants sont en train de rejoindre un à un, les rangs. A l’exception de Aly Ngouille Ndiaye, qui paraît intraitable et manifestement résolu à aller à la Présidentielle, le reste de la troupe des «frondeurs» va abdiquer devant la volonté de Macky Sall. Du moins pendant encore quelque temps, étant donné que certains récalcitrants ne sont pas prêts à perdre leur poste actuel.

Macky Sall est tombé dans son propre piège

Si le choix de Amadou Ba est jugé plus ou moins logique, l’on se demande réellement si le Président Sall a interrogé les rapports de son Premier ministre avec une partie de ses ministres ? Manifestement non ! Il ne serait pas surprenant qu’une fois au pouvoir, Amadou Ba veuille se débarrasser des caciques de l’Alliance pour la République (Apr), qui ne l’aiment pas du tout et il en est conscient. Ce ne serait pas surprenant non plus qu’il crée sa propre formation politique autour de laquelle il convierait certains responsables de la grande Coalition Benno bokk yaakaar et même de l’opposition. Le Président Sall serait le cas échéant, le plus grand perdant de ses innombrables calculs politiques. Car non seulement il aura du mal à reconstituer son parti, mais il pourrait même être dans la ligne de mire du tout nouveau président de la République. Il faut quand même rappeler que le compagnonnage de ’Amadou Ba avec le Président Sall n’a pas été un long fleuve tranquille. Un moment banni du pouvoir, Amadou Ba aurait développé des velléités de départ de l’Apr. Pour aller où ? Il n’a pas su prendre son courage à deux mains. Il a préféré sagement attendre le temps de grâce pour revenir à la «maison», avec les «honneurs».
Il serait étonnant que Amadou Ba ne se rappelle pas sa longue traversée du «désert», faisant l’objet de quolibets et de moqueries de ses «camarades», qui le considèrent toujours comme un nain politique, qui n’a aucune once de légitimité au sein de l’Apr. Maintenant qu’il est revenu par la grande porte, tout semble possible !

On est en politique au Sénégal, et sous nos cieux, on aura tout vu. Ceux qui ont vécu les premières années de Me Abdoulaye Wade au pouvoir savent que la politique version sénégalaise peut s’avérer parfois très bizarre, pour ne pas dire surréaliste. Mais Macky Sall, président de la grande coalition, l’aura voulu. Il l’aura appris à ses dépens. Il s’est trop joué de son parti et de Benno bokk yaakaar, pensant être le Maître du temps et des destins politiques. Elu en 2012, le Président Sall n’a jamais eu le temps d’organiser son parti. En 11 ans de règne, il s’est plus distingué dans les stratégies de «réduction de l’opposition à sa plus simple expression» que dans la préparation de son parti et de sa coalition aux prochaines échéances électorales. Contraint ou pas, c’est selon, à ne pas se représenter à une troisième candidature, il s’est pris dans son propre piège, ne sachant pas qui peut prendre les rênes du parti et de la coalition en 2024. Certains observateurs de la scène politique ont estimé que Mahammed Boun Abdallah Dionne, ancien Premier ministre, aurait été un choix judicieux, une «assurance tout risque» pour Macky Sall, tout comme Abdoulaye Daouda Diallo aurait pu l’être.

L’Apr en lambeaux après la Présidentielle
Mais Amadou Ba ne représenterait aucune garantie de survie pour une bonne partie des caciques de l’Apr. C’est peut-être à juste raison, sachant que Amadou Ba est considéré, à tort ou à raison, comme un monstre froid, qui peut faire très mal. Le Président Sall a certainement eu des garanties et devant témoins, mais lui-même le sait, être Président dans nos pays est synonyme de pouvoirs exorbitants. Quiconque est chef de l’Etat disposerait d’autant de pouvoirs qui lui confèreraient le droit «de vie et de mort» sur n’importe qui, surtout sur ses alliés politiques. Amadou Ba peut, à l’épreuve du pouvoir et de la politique, avoir une autre posture à l’égard de l’Apr. Il pourrait lui-même créer les conditions de l’implosion du parti de Macky Sall, puisqu’il pourrait compter sur d’autres partis membres de la Coalition Benno bokk yaakaar et de l’opposition, mais également sur de nombreux mouvements de soutien qui attendent de régler leurs comptes avec l’Apr.

Tout ce qui est décrit plus haut est le scénario de l’élection de Amadou Ba à la tête du pays au soir du 25 février 2024. Mais il est tout à fait possible également que la Coalition Benno bokk yaakaar perde le pouvoir. Là, il n’y aurait pas de doute, le parti et la coalition au pouvoir vont mourir de leur belle mort. Ceux qui soutenaient Amadou Ba avec conviction et sans condition aucune auront à cœur de se battre dans l’opposition pour reconquérir le pouvoir, tandis que ceux qui ont toujours été contre lui au sein de l’Apr et Benno bokk yaakaar se feront le plaisir de rejoindre le nouveau régime en place ou de se constituer une autre voie politique.

A la lumière des pratiques politiques et politiciennes au Sénégal depuis la première Alternance de 2000, il est tout à fait possible que l’après-2024 nous réserve des surprises, notamment du côté de la coalition du Président Sall. La victoire ou la défaite de Amadou Ba sonneraient le glas de l’Alliance pour la République qui n’a jamais su être un grand parti politique, normalement structuré, justement organisé et raisonnablement constitué.
Aly FALL
Journaliste / Communicant
fallaly80@gmail.com

Amadeus

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