Aux Etats-Unis, « un président assassiné entre forcément dans un mythe »
John Fitzgerald Kennedy, 35e président des États-Unis, s’installe à la Maison Blanche alors que la guerre froide bat son plein : crise des missiles de Cuba, lancement de la course à l’espace, prolifération nucléaire… Mais le 22 novembre 1963, il est assassiné à Dallas, au Texas. Malgré la déclassification de certains documents secrets, de nombreuses zones d’ombre persistent sur son assassinat. L’historien André Kaspi, spécialiste des États-Unis, apporte son éclairage.
RFI : John Fitzgerald Kennedy est élu de justesse en 1960. Dans quel contexte politique national et international arrive-t-il au pouvoir ?
André Kaspi : Kennedy a gagné l’élection présidentielle de peu. Il avait en face de lui un candidat républicain que soutenait Eisenhower, c’était Richard Nixon. Il y avait une bataille électorale intense entre Nixon et Kennedy. Finalement, Kennedy l’a remporté de peu de voix. Ce qui veut dire que sa liberté de manœuvre n’est pas aussi grande qu’on pourrait l’imaginer. Il doit tenir compte évidemment des difficultés qu’il a rencontrées pour être élu. Autrement dit, il arrive aussi dans une période de guerre froide, c’est-à-dire en pleine opposition entre les États-Unis et l’Union soviétique.
Une Union soviétique très forte, dirigée par Nikita Khrouchtchev, qui succède à Staline, mort en 1953. Il est arrivé à prendre le pouvoir et essaie assurément d’imposer au monde la vision que peut avoir l’Union soviétique. Alors, c’est une vision qui porte sur l’Europe et c’est une vision qui porte sur l’Amérique latine. Le Moyen-Orient, dans cette affaire, joue un rôle mineur, ce n’est pas le théâtre principal. En ce qui concerne l’Europe, l’Allemagne est divisée, Berlin est coupée en deux, par le Mur, avec d’un côté la République fédérale d’Allemagne et de l’autre la République démocratique allemande.
Et puis, en Amérique latine, il y a un problème qui perturbe particulièrement les États-Unis, ce sont les agissements de Fidel Castro à Cuba. John Kennedy arrive dans une situation qui est difficile pour les États-Unis, mais qui, en même temps, pose l’Amérique comme le champion du monde libre.
Au fond, il n’y a pas de contestation particulière parmi les nations démocratiques. Même le général de Gaulle considère que Kennedy représente l’un des éléments forts du camp du monde libre. Donc, c’est dans ces circonstances-là que Kennedy va essayer d’agir, en premier lieu vis-à-vis de Cuba.
Peu de temps après son arrivée à la Maison Blanche, il est confronté à la crise des missiles de Cuba et il lance aussi la course à l’espace avec le programme Apollo…
Oui, les deux superpuissances s’opposent dans tous les domaines. Alors, le programme Apollo, c’est-à-dire la course à l’espace, est important, parce que celui qui l’emporte disposerait d’une supériorité incontestable sur l’autre. Les affaires que Kennedy doit gérer sont extrêmement sensibles et en même temps nécessitent une entente avec les Alliés, c’est-à-dire avec les puissances européennes qui sont les principaux alliés des États-Unis à cette époque-là.
John Fitzgerald Kennedy voulait aussi lancer la lutte contre la mafia. Était-ce l’un de ses projets qui lui a peut-être coûté la vie ?
La lutte contre la mafia a pour théâtre encore une fois Cuba. Parce qu’elle est à 150 kilomètres des côtes de Floride et c’est, pour la mafia, un lieu idéal sur lequel tous les trafics sont possibles. Mais aussi, l’influence politique des États-Unis à Cuba jusqu’au moment où le dictateur qui a précédé Fidel Castro, à savoir Batista, est renversé. Il est évident que Cuba est un lieu idéal pour la mafia. C’est le lieu où on peut établir des endroits de jeux. C’est le lieu où l’on peut vendre et acheter de la drogue. C’est le lieu où on peut régler des affaires qu’autrement on ne pourrait pas régler sur le territoire des États-Unis. Et j’ajoute qu’il y a, depuis déjà très longtemps, une partie de Cuba qui est annexée par les États-Unis ou pratiquement annexée. C’est la base de Guantanamo, qui est toujours une base américaine. Cela veut donc dire que là, il y a des zones de conflit à l’intérieur des États-Unis, mais aussi de conflit avec l’Union soviétique, dans la mesure où Fidel Castro se sent proche de l’Union soviétique, beaucoup plus qu’il n’est proche des États-Unis, bien entendu.
Le 22 novembre 1963, Kennedy est à Dallas, le cortège présidentiel traverse la ville. Des coups de feu sont tirés sur Kennedy. Pourquoi cet attentat ? Qui pouvait-il déranger ?
Il commençait la campagne pour les élections de 1964. Il y avait certainement un rapprochement plus ou moins fort, plus ou moins spectaculaire avec Cuba. C’est-à-dire entre la baie des Cochons en avril 1961 et l’assassinat en novembre 1963, il y a eu la crise des missiles, en octobre 1962, quand l’Union soviétique avait voulu installer des missiles à Cuba. Les États-Unis ont manifesté leur opposition par tous les moyens. Et finalement, les deux super grands se sont entendus pour trouver une solution acceptable à l’un et à l’autre. En novembre 1963, la situation n’est plus du tout la même que dix-huit mois auparavant. Kennedy a fait l’expérience du pouvoir présidentiel. Il n’est plus le jeune président qui débarque à la Maison Blanche avec de très belles idées, mais avec peu d’expérience. Il est, au contraire, un président qui a de l’expérience et qui sait très bien ce qu’il doit faire. Simplement, il a suscité des idées et des inimitiés très fortes qui font que ses adversaires, mais je ne sais pas lesquels et je ne pourrais pas vous révéler cela, souhaitaient sa disparition. Alors, cela pourrait être les mafieux qui regrettaient d’avoir perdu le marché cubain. Cela pourrait être à l’intérieur même des États-Unis, des adversaires de Kennedy, cela pourrait être des Cubains, ça pourrait être des Soviétiques. Bref, pour le moment, c’est-à-dire aujourd’hui, avec 60 ans de distance, on n’a toujours pas de certitude absolue sur les origines de l’assassinat de Kennedy.
Pourquoi finalement, 60 ans après, on ne dispose pas de plus de détails sur cet assassinat ?
Parce que l’assassin présumé, Lee Harvey Oswald, a été assassiné dans les 48 heures par Jack Ruby et lui-même a été jugé et condamné à mort. Jack Ruby est mort dans sa prison en 1967, avant même d’être exécuté et avant même qu’on ait la certitude qu’il ait été le seul responsable de l’assassinat. Donc, on ne sait toujours pas si c’est un acte individuel ou si c’est un complot. Alors, il y a une autre enquête qui a été faite dans les années 1970, mais cette enquête n’a pas abouti à des résultats particulièrement nets.
Dans la mesure où l’affaire reste imprégnée de mystère, on ne peut pas dire d’une manière définitive qui est responsable, qui a fait quoi et comment. Les choses se sont passées d’une manière aussi nette que possible. Pour l’instant, à moins qu’il y ait une révélation subite, on reste dans le domaine du mystère. Mais, il ne faut pas exagérer, parce qu’il y a quand même un certain nombre d’éléments, mais disons qu’on n’a pas une certitude absolue sur l’assassinat de Kennedy.
Quel est le monde après Kennedy ? Quelles sont les conséquences de l’attentat à l’échelle mondiale ?
Kennedy est devenu un mythe du jeune président qui est plein de dynamisme, qui exprime des idées nouvelles et qui est abattu en plein vol. Mais je crois que ce qu’il faut retenir aussi, c’est que Kennedy est assassiné au moment où les États-Unis tournent leur attention vers le Vietnam. Cuba n’est plus le théâtre principal sur lequel ils essaient de faire porter leurs actions. À partir de 1963, et surtout après la mort de Kennedy, les États-Unis se plongent dans la guerre du Vietnam. Et la question qui se pose, c’est de savoir si Kennedy vivant aurait pratiqué la même politique que son successeur Lyndon Johnson et engagé des centaines de milliers de soldats américains dans les jungles du Vietnam.
Quel est le souvenir de Kennedy aujourd’hui ?
Un président assassiné entre forcément dans un mythe. Il y a eu un autre président assassiné, c’était Abraham Lincoln en 1865 à la fin de la guerre de Sécession. Aujourd’hui, Lincoln et Kennedy sont deux martyrs dans l’histoire politique des États-Unis. Mais encore une fois, c’était il y a longtemps : pour Kennedy, il y a 60 ans, pour Lincoln, il n’y a plus de 150 ans. Les souvenirs s’effacent et on entre dans le domaine de la légende