Entretien-Dr Cheikh Diallo, chercheur en science politique, consultant en communication et leadership: « Le second tour est maintenant une certitude »
Fondateur de l’Ecole d’Art Oratoire et de Leadership (EAO-Afrique) Cheikh Omar Diallo est Docteur en Science politique et Consultant en Communication et Leadership. Son riche parcours s’étend au cœur des campagnes présidentielles depuis la première alternance en 2000 en tant que Journaliste, puis Conseiller en communication et aujourd’hui il a accompagné les leaders et managers du Sénégal et de la sous-région. À un mois de la présidentielle, il décrypte et analyse les enjeux d’un scrutin inédit.
Direct News-2024 est une année cruciale pour les élections dans le monde ?
C. DIALLO-Exact ! 2024 : une année d’épreuves pour les démocraties et l’année-record des élections. Un habitant de la Terre sur deux devrait aller aux urnes. Quatre milliards de personnes concernées, soit plus de la moitié de la population mondiale. Au cœur de cette super-année électorale – 80 élections environ – il faut compter des électionsdans les dix nations les plus peuplées du globe, une quarantaine de scrutins en Europe et plus d’une vingtaine en Afrique. Telle est la pierre angulaire des scrutins présidentiels et législatifs. De janvier à décembre, des pays comme le Sénégal, le Ghana, la Mauritanie, l’Afrique du Sud, l’Algérie, la Tunisie, l’Ethiopie, le Rwanda, la Namibie, les États- Unis, la Russie, l’Inde, le Bangladesh, l’Indonésie, le Pakistan, le Mexique et le Mozambique etc., seront à l’affiche. La coupe du monde des élections, en somme.
Et donc quelle lecture faut-il en faire ?
Deux certitudes se dégagent : D’une part, Vladimir Poutine sera réélu pour un cinquième mandat et Paul Kagamé rempilera pour un quatrième, les chances de come back de Donald Trump seront intactes. D’autre part, la montée des extrémismes et des populismes sera inquiétante.
Vous parlez de super-année électorale, au même moment on évoque le report de la présidentielle sénégalaise… L’avez-vous envisagé ?
Je vais essayer de faire court et bref. Depuis 1960, sur onze scrutins présidentiels aucun n'a été reporté. Le report exige plusieurs conditions, notamment la survenance de circonstances exceptionnelles prévues par l’article 34 de la Constitution. Pour faire simple, il faudra deux contraintes majeures qui ne sont pas cumulatives : D’une part, en cas de décès d’un des 20 candidats avant le premier tour, de nouvelles candidatures sont acceptées. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel reporte le scrutin à une nouvelle date. D’autre part, si l’un des deux candidats en tête décède ou se retire après la proclamation des résultats du premier ou du second tour, les 7 sages constatent le décès ou le retrait, puis fixent une nouvelle date du scrutin. Ces situations rares et exceptionnelles sont appelées en Sciences politiques « contraintes internes du report ». À côté, on pourrait envisager « des contraintes externes du report ». Il s’agit de graves événements d’ampleur nationale ou internationale : crise sanitaire grave, catastrophe naturelle dévastatrice, entrée en guerre, entre autres ou alors tout ce qui pourrait déclencher l’état d’urgence ou de siège. Dans de tels cas, le report devient une évidence. Sauf cataclysme, ce scrutin aura bel et bien lieu le 25 février 2024.
Report ou pas, vingt candidats se disputent le fauteuil de Macky Sall. Un Record ?
En effet, c’est l’élection la plus onéreuse jamais organisée au Sénégal, environ 50 milliards FCFA. Le plus grand défi sera celui de l’organisation, de la tenue et de la sincérité du scrutin : 20 candidats pour un fichier global de 7.500.000 inscrits ; 150 millions de bulletins de vote ; 18.000 bureaux de vote [des bureaux vont ouvrir et fermer tard] et 2h30 d’antenne par jour pour tous les candidats. Vous conviendrez avec moi que le parrainage version 2024 est plus une passoire qu’un filtre. En 2019, il n’y avait que 5 prétendants, le scrutin avait coûté 15 milliards (chiffre officiel). Cela dit, il y a deux observations préalables : le président sortant et le principal leader de l’opposition sont hors-jeu. Notez bien : Macky Sall quitte le pouvoir mais ne s’éloigne pas des affaires du pays. Il quitte les projecteurs mais reste en coulisses. Ce n’est pas pour rien qu’il est confirmé chef de parti. Tandis qu’Ousmane Sonko demeure la première réalité politique incontestable. C’est une montagne, on l’aime ou on ne l’aime pas, on s’en f..t. Elle est là ! Et puis, imagine-t-on une coupe du monde sans le Brésil ? Leur combat à mort se fera par candidats interposés.
Quelles sont les conséquences directes et immédiates de la pluralité de candidatures ?
Pour bien décrypter les enjeux, il ne serait pas inintéressant de regrouper les 20 candidats en quatre blocs non-homogènes.
Lesquels ?
Les radicaux, les centristes, les dissidents et les non-alignés. Les radicaux sont : Bassirou Diomaye, Habib Sy, Déthié Fall, Cheikh Tidiane Dièye, Mamadou Lamine Diallo et Boubacar Camara. Ils ont pour masterchef Ousmane Sonko. À côté, l’intraitable et identité remarquable Thierno Alassane Sall, le bourreau de la candidature de Karim Wade. Plus ou moins liés à ce bloc radical, on peut citer trois grands brûlés du parrainage :Aminata Touré (forte capacité de nuisance) Bougane Gueye Dani (grande capacité médiatique) et Abdourahmane Diouf (bonne capacité technique). Les centristes sont : Khalifa Sall, Idrissa Seck et Malick Gackou. Leurs expériences respectives de l’État, des institutions et de la politique les éloignent des extrêmes. Les dissidents : Mahammad Boun Abdallah Dionne, Aly Ngouille Ndiaye et El Hadji Mamadou Diao. Indubitablement, au premier tour, ils iront labourer dans la même surface électorale qu’Amadou Ba. Logiquement, une partie de leur électorat retournera à la roche-mère, en cas de second tour. Les non-alignés : Aliou Mamadou Dia du P.U.R – une force constante entre 3-4% -le député Pape Djibril Fall, le top manager Anta Babacar Ngom, l’homme d’affaires Serigne Mboup et les deux médecins Rose Wardini de Latmingué et Daouda Ndiaye. Attention ! Les petits ruisseaux font les grandes rivières : Faut pas les négliger. Ils attendent le second tour pour monnayer leurs voix, si petites soient-elles.
Idrissa Seck, Khalifa Sall, Aly Ngouille, Dionne, Déthié Fall, Diomaye Faye, Cheikh Tidiane Dieye, Malick Gackou, etc., 19 prétendants face à Amadou Ba n’est-ce pas trop ?
Amadou Ba est l’homme à abattre ou l’homme qui peut battre. Il sera donc au centre de toutes les attentions. Un regard 360° rappelle que l’excellence étatique coule en lui. Il est le candidat des investisseurs, des partenaires étrangers, des riches et des classes aisées. Soutenu par une large coalition de partis, Amadou Ba possède des moyens financiers et logistiques colossaux – suprême avantage et lourd inconvénient – il bénéficie du soutien de Macky Sall. Malgré tout, la machine tarde à imprimer parce qu’il lui manque de devenir le candidat du peuple au sens populaire. Issu d’un quartier populaire de Dakar, il cherche paradoxalement la clé de contact pour pénétrer les couches défavorisées. Le code d’accès de cette connexion magique est bien gardé par Sonko et ses lieutenants.
Que doit-il faire pour mettre en marche cette imprimante ?
Je n’ai pas la prétention de savoir… Toutefois, il me plait de refaire la même recommandation que j’avais faite au Premier ministre d’alors Macky Sall dans mon premier livre [Si près, si loin avec Wade, éditions Hachette 2007]. Comme Macky l’a fait avec Wade, Amadou Ba doit enfin se désenvouter de la tutelle ombrageuse de Macky Sall et s’en affranchir. Il est temps de dé-standardiser son discours ; c’est le moment de s’émanciper et de se révéler aux Sénégalais. Car cette présidentielle-là pourrait se jouer sur le fil.
Alors êtes-vous d’en train d’envisager un second tour sans le dire ?
C’est une certitude mathématique. Dans une de nos publications scientifiques, après un monitoring d’une centaine de présidentielles dans le monde, nous avons noté, à quelques exceptions près que lorsque le président sortant est préalablement sorti de la course, le scrutin impose en règle générale un second tour. Nous l’avons appelée « la loi de la gravité électorale ».
À votre avis, si deuxième tour il y a, ça sera à l’avantage de qui ?
Je ne sais pas. Mais je constate que rien ne sert d’être premier au premier tour avec plusieurs points à rattraper comme ce fut le cas en 2000 entre Diouf-Wade (41% vs 31%) et entre Wade-Macky (34% vs 26%). En fait, être en tête au premier tour ne garantit pas la victoire finale. C’est pourquoi, il faudra de la vista stratégique : les contrats de coalitions autour d’une gouvernance de consensus, les possibles reports de voix, les probables consignes de vote et des intentions des primo-votants (350.000 inscrits environ) sont des éléments cruciaux à étudier minutieusement. In Fine, le candidat le mieux placé de l’opposition se retrouverait au second tour, mais rien n’est garanti. Et, après le second tour, j’inviterai les Sénégalais à envisager un troisième tour : les législatives anticipées.
Si l’on suit votre logique, le président élu va dissoudre l’Assemblée nationale ?
Obligé ! Le futur président devra inévitablement dissoudre l’Assemblée. Sinon, il ne pourra pas faire voter des lois d’envergure jusqu’en 2027 – date de fin de la législature. Pour rappel, depuis les législatives de 2022, la majorité absolue est introuvable dans un hémicycle à la fois instable, ingérable et incontrôlable. Conséquence directe : la majorité relative actuelle est dans l’incapacité chronique de faire passer une loi d’importance. Avec ce régime d’assemblée – c’est le terme technique en Droit constitutionnel – la dissolution devient un impératif politique. C’est pourquoi, le président nouvellement élu – issu des radicaux, des centristes ou des dissidents – n’aura d’autre choix que la dissolution. En règle générale, dans l’euphorie du nouveau mandat présidentiel, les dynamiques électorales perdurent et se retranscrivent dans les urnes lors des premiers scrutins suivants. Qui votera verra !
Par A. S