Sénégal, la seule véritable crise…
En toute chose et en toutes les circonstances, il faut évidemment de la mesure et du recul pour ne pas laisser l’émotion et la passion, qui sont de très mauvais conseillers, nous imposer un verbe et le ton.
Onze jours après la très brève déclaration du Président de la République Macky Sall faisant état du report de l’élection présidentielle du 25 février 2025, il y a de quoi lever une plume et de quoi hausser la voix pour participer tant soit peu à ce débat à la fois passionnant et intéressant et qui a fini d’être la grande préoccupation des Sénégalais.
Après la publication par le conseil constitutionnel de la liste des candidats devant participer à l’élection, à l’avant-veille du début de la campagne présidentielle et à trois semaine de la date retenue pour l’échéance, il va sans dire que la déclaration du Président Macky Sall a versé une douche plus que froide à tous les Sénégalais, particulièrement à tous les candidats. C’est dire que le Président Macky a fait accoucher la montagne d’une toute petite souris.
Si chacun y est allé et continue d’y aller de son intime conviction, pour certains, ou portant des œillères politiciennes, pour d’autres, la réalité populaire est que la majorité des Sénégalais, bien qu’ayant accusé le coup, ne veulent pas du report de la présidentielle et voient que le Président Macky Sall ne veut rien d’autre que de prolonger subrepticement son mandat qui arrive à terme le 2 avril 2024, en simulant une crise institutionnelle qui, même si elle était réelle, n’interrompt nullement le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des institutions (tel que prévu par l’article 52 de la constitution).
Le Président donna un coup de frein au processus électoral.
Et c’est ainsi qu’est née la seule véritable crise, nous exposant à une spirale de manifestions avec son lot de dégâts aussi bien humains que matériels.
La réalité est que le contrat de confiance qui existait ou qui devrait exister entre le Président et ses compatriotes est en passe de se rompre, s’il ne l’est déjà pour une très bonne partie des Sénégalais, pour ne pas dire de façon péremptoire pour la majorité.
Ce qui fait exactement que ce report de l’élection présidentielle autorise le doute sur sa pertinence et son objectivité et nous permet aussi de nous poser un certain nombre de questions motivées par un faisceau de de faits (aussi discutables les uns que les autres).
1) Ce n’est pas la première fois qu’un candidat à la présidentielle conteste une décision du conseil constitutionnel
2) Le fait que les députés de la majorité donnent leur caution à cette proposition de loi émanant d’un parti d’opposition laisse perplexe plus d’un. C’est la première fois que nous voyons une telle situation. Et tout laisse à croire qu’ils y trouvent leur compte. Autre interrogation possible: les députés de BBY n’ont-ils pas reçu instruction de leur chef (le Président Macky Sall) de soutenir cette proposition de loi ? Interrogation légitime au vu de ce lien très fort qui existe entre le chef et « ses députés »
3) En 2016, le Président nous avait dit qu’il ne pouvait plus tenir la promesse de campagne qu’il nous avait faite de faire un mandat de 5 ans au lieu de 7 ans parce que le conseil constitutionnel lui avait dit qu’il ne pouvait pas le faire. Nous rappelons que ce qu’avait dit le Conseil constitutionnel n’était qu’un avis qui ne liait pas du tout le Président. Il aurait pu passer par l’assemblée nationale ou démissionner, ne serait-ce que pour faire honneur à sa parole. Et cette fois-ci, s’agissant du report de l’élection, il contourne le Conseil constitutionnel pour passer par l’assemblée. Il nous est alors permis de douter de sa bonne foi et de sa sincérité.
4) Si vraiment, ce report de l’élection n’est pas orchestré pour prolonger sournoisement son mandat, il démissionnera le 02 avril inchalla et laissera Amadou Mame Diop (le président de l’assemblée nationale) assurer la présidence, tel que c’est prévu par les textes. Il le fera, il ne le fera pas, laissons le temps à faire son travail
5) Lui-même, le Presidént sait qu’en décidant du report de l’élection, il passe outre les décisions du Conseil constitutionnel devant lequel il a prêté serment et a juré de respecter et de faire respecter la constitution. Pourtant, c’est ce même conseil constitutionnel qui a dit que Karim ne peut pas être candidat et a arrêté la liste des candidats à 21. Et personne ne peut dire que la décision du Conseil constitutionnel par rapport à Karim n’est pas conforme aux textes. Donc où est le problème ? Et puis même s’il y a des contestations de part et d’autre, le Président a-t-il le droit de ne pas respecter les décisions du Conseil constitutionnel ?
Être un bon gouvernant, c’est avant tout connaître les aspirations profondes de ses gouvernés et savoir en prendre compte. Diriger un peuple, c’est aussi savoir prendre la pleine mesure de son imaginaire collectif, et être prêt à tout mettre en œuvre pour satisfaire ses revendications. Qu’est-ce qu’un Président de la République gagnerait à faire passer une decision dont l’impopularité n’est plus à démontrer?
Les histoires d’amour finissent toujours mal, nous dit l’adage.
Et pour ce qui est de celle entre le Président Macky Sall et le peuple Sénégalais, c’est comme défoncer une porte déjà ouverte que de dire qu’elle est en train de mal se terminer. Le sentiment d’injustice est réel chez une très bonne partie des Sénégalais et les velléités dictatoriales de ce régime n’est plus qu’une simple présomption à leur yeux. Les actes qui ne cessent d’être posés par le régime et les restrictions de certaines libertés consacrées par notre charte fondamentale corroborent toutes cette pensée. Ce sentiment d’injustice et cette nature dictatoriale prêtée à ce régime font souffler un vent de révolte respiré par ce peuple et qui est destiné à le mener à des lendemains où il retrouvera sa démocratie tant chantée et recouvrera toute sa liberté. Et cela passera d’abord inéluctablement par une élection présidentielle qui se tiendra à date échue et se fera sans le Président sortant.
Les manifestations et les discours auxquels nous assistons depuis l’annonce du report de la présidentielle ne sont pas du tout nouveaux et ne sont que le prolongement d’un combat enclenché depuis quelques années maintenant et qu’une certaine opposition radicale semblait incarner et porter.
Mais la particularité pour cette situation que nous vivons depuis le 4 février 2024 est que ce combat pour le respect du calendrier républicain et la préservation de ce qui reste de notre démocratie est plus porté par les organisations appolitiques que par les politiciens et qu’il n’y a pas un certain Ousmane Sonko qui, à travers des déclarations, pourraient appeler à la revolte contre ce coup de force que tout le monde qualifie de coup d’état constitutionnel.
M. Ousmane Sonko justement, parlons-en!
Depuis deux jours, il est insinué par des voies qu’on ne peut pas qualifier d’autorisées mais qui ne sont pas du tout anodines et qui ne parleraient pas dans le vide (par exemple M. Alioune Tine), une loi d’amnistie générale et la libération du chef de l’ex-PASTEF ainsi que celle de tous les détenus dits politiques qui devrait advenir dans les jours à venir.
Sa libération devrait-elle être actée pour faire avaliser le report de la présidentielle ? Oui ou non, le moment laisse perplexe et ce serait le plus gros deal de l’histoire politique de ce pays. Pire encore, ce serait un dernier coup de grâce porté à la confiance déjà abyssale que ce peuple a pour son élite politique, aussi bien envers ceux au pouvoir que ceux qui aspirent à le diriger, abstraction faite de M. Ousmane Sonko qui, jusque-là dispose d’une virginité politique, demeure le porte-étendard d’une nouvelle donne politique, incarne l’espoir d’un peuple dépité par sa classe politique et cristallise toutes les attentions compte tenu de son discours et de sa méthode. Let’s wait and see!
En attendant tout cela, prêtons une oreille attentive au constitutionnel, notre dernier rampart légal, qui devra se prononcer sur la constitutionnalité ou non de la loi actant le report de la présidentielle.
Amadou SOKHNA, enseignant, écrivain