Immigration : L’UE renforce Frontex malgré l’accumulation de critiques et de scandales
Malgré les critiques persistantes, l’agence de surveillance des frontières européennes, Frontex, a vu ses prérogatives se renforcer constamment depuis sa création il y a près de 20 ans. Pour son nouveau mandat, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a annoncé son intention de tripler les effectifs de l’agence sans évoquer de remise en question.
« Nous devons renforcer Frontex pour la rendre plus efficace tout en respectant pleinement les droits fondamentaux », a déclaré Ursula von der Leyen le 18 juillet devant le Parlement européen, annonçant l’augmentation du nombre de garde-frontières et de garde-côtes européens à 30 000.
Depuis sa création, Frontex a vu ses missions et son budget considérablement accrus. Chargée d’assister les États membres dans le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne, l’agence participe à l’analyse des risques, à la surveillance des frontières maritimes, aériennes et terrestres, et au financement des opérations de retour des migrants en situation irrégulière. Ses agents peuvent notamment aider à l’enregistrement des migrants à leur arrivée, comme c’est le cas depuis 2018 en Espagne avec l’opération Minerva. Après le début de la guerre en Ukraine en février 2022, Frontex a également soutenu plusieurs pays de l’UE face à l’afflux de réfugiés et collabore avec des pays tiers tels que l’Albanie et la Tunisie.
À la suite de la crise migratoire de 2015, Frontex est devenue en 2016 l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, avec un mandat et des moyens étendus par des règlements successifs. En 2019, un nouveau règlement a même permis à l’agence d’intervenir même sans sollicitation d’un État membre.
Un budget en forte croissance, une efficacité contestée
Avec un budget de plus de 845 millions d’euros en 2023, contre 6 millions d’euros lors de sa création, Frontex est la mieux dotée des agences européennes. Ce budget prévoit le déploiement de 10 000 agents d’ici 2027. En comparaison, le budget de l’agence de l’UE pour l’asile était de 174 millions d’euros en 2023. Pour Marie-Laure Basilien-Gainche, professeure de droit public, « cet écart montre clairement que l’objectif est la protection des frontières plus que celle des réfugiés ».
Le mandat de Frontex inclut la protection des droits fondamentaux, mais des critiques croissantes soulignent les lacunes de l’agence. Bien que le droit international impose à Frontex d’assister les embarcations en détresse, le sauvetage en mer n’est pas formellement inclus dans son mandat.
Critiques croissantes et appels à plus de transparence
L’agence a été de plus en plus critiquée ces dernières années pour son implication dans des violations des droits humains et des pushbacks illégaux. En 2020, des enquêtes ont révélé des refoulements illégaux en mer Égée. En 2021, le Parlement européen a exigé un gel partiel du budget de Frontex jusqu’à ce que des améliorations soient apportées. Des rapports ultérieurs ont accusé l’agence de maquiller des renvois illégaux en simples « opérations de prévention ».
En 2022, un rapport de l’Office de lutte antifraude (Olaf) a conduit à la démission de Fabrice Leggeri, l’ancien directeur de Frontex, accusé de non-respect des procédures et de refoulements illégaux. Ce dernier a depuis été élu député européen sous l’étiquette du Rassemblement national (RN).
Les appels à plus de transparence ne viennent plus seulement des ONG. Le 28 février dernier, la médiatrice de l’UE, Emily O’Reilly, a souligné dans un rapport que Frontex est « incapable de remplir pleinement ses obligations en matière de droits fondamentaux » en raison de sa dépendance vis-à-vis des États membres.
Manque de contrôle et réformes insuffisantes
Malgré la création de mécanismes comme le Forum consultatif pour les droits fondamentaux et l’instauration d’un mécanisme de plainte, ces dispositifs restent largement sous-dotés en ressources. Léo Blaise Fontfrede, doctorant en droit européen, note que peu de plaintes aboutissent réellement, tandis que Brigitte Espuche, co-coordinatrice du collectif Migreurop, estime que l’agence est « hors de contrôle » et préconise sa suppression pour mettre fin aux violations des droits.
En mars dernier, Ylva Johansson, commissaire européenne aux Affaires intérieures, a exprimé sa satisfaction quant au fonctionnement de Frontex, rejetant l’idée d’une réforme majeure. Selon elle, les défis résident dans la formation du personnel et la rapidité des déploiements des États membres, sans reconnaître de problème majeur avec le respect des droits fondamentaux.