ADAMA GAYE INVITÉ SPÉCIAL: « Face à l’Etat – Pourquoi je le poursuis en justice »

ADAMA GAYE INVITÉ SPÉCIAL: « Face à l’Etat – Pourquoi je le poursuis en justice »

Comme poussés par un mandat impératif, les agents de la prison étaient soudain surexcités, déterminés à exécuter l’ordre reçu de je-ne-savais qui de me rendre ma liberté, avec promptitude, autant que l’avait été la célérité avec laquelle avaient agi leurs collègues de la sécurité d’Etat, lorsqu’ils étaient venus me cueillir, le 29 Juillet 2019, dès potron-minet, sans mandat ni justificatif, afin de me la retirer.
Je n’étais désormais qu’un colis encombrant. Une patate chaude. Y-avait-il dans cette précipitation une consigne irrationnelle, l’exigence d’une force occulte pour que je ne reste pas au-delà d’une certaine heure, sur ces lieux où, excipant de sa puissance exorbitante, l’Etat pensait pourtant pouvoir m’empêcher de nuire davantage à la société au nom d’une raison d’Etat qui m’y avait propulsé, manu-militari, sans autre forme de procès?
Toujours est-il qu’en les quittant, le devoir de mener le combat pour qu’une telle dérive ne se reproduise plus trottait dans ma tête outre l’impatience de révéler au monde ce que j’y avais vécu. J’y tenais comme à la prunelle de mes yeux.
L’évidence secouait mes neurones, qui me faisait adopter cette posture par défiance à cet écosystème judiciaire autant que politique, sur fond d’une complicité crasse des forces vives, socio-professionnelles, qui s’étaient instinctuellement, dans un réflexe Pavlovien, alignées derrière un aussi abject crime!
Déréglé, franchissant toutes les barrières des normes qui l’encadrent, devenu voyou et autocratique, l’Etat Sénégalais n’avait pas eu un seul réflexe, le plus petit zeste moral, pour reculer à mesure qu’il déployait son illégitimité à mon égard.
Il se sentait tout puissant. Et pouvait l’être, en vérité, puisqu’il était encouragé dans ses dérives outrancières par une société qui l’applaudissait à tout rompre, sous les hourras amplificateurs des médias, soudoyés ou consentants, plus déchaînés que dans une corrida et pressés de voir couler le sang de l’importun, ce trouble-fête, désormais s’en vidant, sous les flèches aiguës du toréro souverain déchaîné, sûr d’être nanti d’une puissance publique, de sa violence, qu’il avait détournée pour accomplir sa mission d’exécution publique d’un citoyen – incapable, à mains nues, de se défendre.
La cause était entendue. L’objectif clair. Il fallait donc en finir avec l’outrecuidant terroriste de la plume et du digital dont les écrits, lui fut-il

signifié, constituaient une « offense » au Chef de l’Etat en même temps qu’ils étaient de nature à déstabiliser l’ordre public et la république rien moins que ça!
En quittant Rebeuss, et sa prison éponyme, le souvenir des récits sur cette partie géographique de la capitale Sénégalaise, longtemps réputée pour ses bars mal- famés, ses crimes de sang, sa prostitution et ses bris de verre au milieu des bagarres que des noctambules, passablement éméchés, s’y livraient, n’é- taient même pas dans ma tête

  • livide !
  • Humer l’air de la liberté, retrouver des gestes ordinaires, sentir comme des ailes pousser sur un corps, qui avait fini par s’habituer à rester coinçé dans une cage carcérale, offrait un autre sentiment, se transformait en rêve éveillé de- venu réalité.
    Cinq ans ont passé depuis ce jour.
    Beaucoup, à ma place, se seraient contentés de passer l’éponge et à autre chose, le pardon au coeur.
    Tel n’est pas mon cas. En me réveillant, ce matin, après avoir pris soin de lire, avec mes avocats, les documents, enfin disponibles, qui avaient lancé la procédure ayant mené à mon arrestation, je ne peux m’empêcher d’inviter le peuple du Sénégal à me donner la chance de lui expliquer pourquoi j’ai décidé de poursuivre en justice l’Etat du Sénégal afin de lui faire payer son forfait à la hauteur de ce qu’il visait à atteindre qui n’était rien d’autre que de détruire physiquement, moralement et, la notoriété avec, tout ce que je pouvais représenter.
    La décision écrite de m’arrêter remonte, comme je l’ai découvert, au 2 Juillet 2019.
    Bizarrement, passant le plus clair de ma vie hors de notre territoire, j’ai eu le temps de me rendre au Sénégal au même moment. Y compris en revenant d’une cérémonie organisée par mon université d’Oxford d’où, semble-t-il, serait parti le feu déclencheur car j’y avais écrit des informations relatives aux frasques sexuelles, vérifiables, de l’alors Président du Sénégal.
    Sitôt publié le 20 Juin 2019, le texte y relatif avait causé un branle-bas général dans l’Etat profond. Il fut décidé illico presto de me mettre une muselière.
    Etrangement, la mesure qui s’était aussi appuyée sur la divulgation du méga-scandale autour de la dissipation des revenus pétrogaziers, via l’arnaque Petrotim, par le frère de Macky Sall, Aliou, sans doute à son instigation, avec la collusion de son allié, l’apatride
  • Frank Timis, n’avait pas eu le temps d’être appliquée.
  • Pourquoi ? Difficile de le dire! Etait-ce par crainte des réper- cussions d’une aussi flagrante violation des droits d’un citoyen que la constitution protège dans son privilège de s’exprimer par le verbe, l’écrit et l’image, plus le digital. Ou s’agissait-il d’une ruse de sioux?
  • Ce qui est patent, c’est qu’en rentrant de nouveau au pays après la finale de la Coupe d’Afrique des nations (Can) perdue au Caire par notre équipe nationale, le 19 Juillet 2019, les conditions de ma capture étaient réunies.
  • Ce qui l’a précipitée, c’est une audience que j’ai eue avec le Président Abdoulaye Wade, ancien Chef de l’Etat, que j’avais rencontré le 27 Juillet à son domicile, comme l’atteste une photo prise ensemble et qu’il avait vicieusement publiée.
  • Le guet-apens pouvait dès lors se mettre en place.


A l’aube, avant même que les premières lueurs ne surgissent, dans une capitale Dakaroise assoupie, les services de sécurité étaient donc aux aguets, dans l’attente de recevoir le top afin de venir me chercher.
Ce n’était plus qu’une forma- lité dès que j’eus publié, comme je le fais d’habitude, à mon réveil, en ce lundi 29 Juil- let 2019, un article sur ma page Facebook qui s’élevait contre le bradage des dernières ressources en hydrocarbures du pays.


Trois coups à la porte m’informèrent de ce qu’ils étaient là, n’attendant que d’exécuter leur mission qui était de me ramener sous bonne escorte par la forme de ce que, dans leur jargon, ils appellent un colis.
Sans le réflexe de survie qui me poussa à aussitôt alerter, au moyen de cette disruptive tectonique des plaques numériques, la grande et fidèle communauté qui suit mes écrits, il n’est pas impossible que j’aurais fini mes jours, ce jour-là, jeté poings et pieds liés au fond du ventre de l’Atlantique. Avec, à la clé, un message, collé sur mon corps, en faisant un repas servi aux requins.


Me retrouver en prison fut donc l’alternative finalement moins lapidaire et tragique mais traduisant une volonté de m’humilier sous les bottes d’un Etat aveugle et tortionnaire.
Ce qui s’est passé alors, dans des conditions carcérales spartiates, est une négation de tout ce que le Sénégal représente. Dans la démocratie qui en a longtemps fait son trait distinctif le plus avantageusement discriminant, nul ne pensait qu’on pouvait en arriver à ce moment où, déchaînés, ignorant jusqu’à la signification de la décence républicaine, les institutions de la justice et de la sécurité, en plus des médias, celles de la société également, allaient aussi servilement se mettre aux ordres illégaux et criminels d’un pouvoir politique dirigé par un Macky Sall devenu erratique, avide de sang et pris de folie pour tuer, torturer et terroriser.
Ce n’était cependant que l’amorce d’une décadence de l’Etat, profondément infiltré par un cancer mortel sous les habits d’une dictature jamais imaginée sur ces terres.
On connaît la suite, avec des dizaines de morts, d’innocents êtres, assassinés en plein jour, et des centaines de prisonniers politiques traqués puis privés de libertés, au mépris de toutes les normes constitutionnelles. Parce qu’un dirigeant, pris de peur du fait de ses crimes économiques, sociaux et politiques, n’avait plus qu’un objectif: se main- tenir à la tête du pays dans le vain espoir d’échapper à la reddition des comptes sur ses actes.
Je suis convaincu que l’exigence d’une justice contre les méfaits de l’Etat du Sénégal dépasse mes propres raisons de m’y engager.
L’exemple doit être posé. Pour que cela ne se reproduise plus jamais. Comme ce le fut après la deuxième guerre mondiale par l’instauration du Tribunal de Nurenberg qui jugea des crimes nazis, Hitlériens. Ou encore les tribunaux d’exception nés de la quête d’une justice pénale internationale sur les pas de la cour pénale

internationale (Cpi) et d’autres mécanismes transactionnels, nationaux (Rwanda, Afrique du Sud) ou internationaux (Sierra Léone, Yougoslavie). C’est parce que le peuple Sénégalais, par refus de mesurer la gravité de ce qui se jouait sous le régime de Macky Sall a semblé lui en donner quitus que ses excès ont continué jusqu’à atteindre un niveau qui pouvait détruire définitivement les fondements de notre nation et de notre démocratie, qu’il importe que la justice, nationale mais à coup sûr internationale, se mobilise autour de ce que je compte transformer en une jurisprudence pour la postérité. En célébrant le 5ème anniversaire de ma liberté, ayant vu les textes sur les conditions de ma détention illégale et constaté l’extinction de la procédure, je suis aussi léger qu’un rossignol, qui chante un hymne à la liberté. Qu’une justice intrépide et ferme saura couler dans du marbre. Pour que ce qui s’est passé ne se reproduise plus sur la bonne vieille terre de Ndiadiane Ndiaye.


Mes avocats ont donc reçu le mandat de poursuivre l’Etat du Sénégal.


Au nom de mes droits dont les plus fondamentaux ont été violés par ses agents et sa propre identité institutionnelle, y compris par la proclamation, avant même que je ne rencontre le juge d’instruction chargé de respecter ma présomption d’innocence, que mon arrestation était « assumée », selon ses propres ter- mes, par celui qui, malencontreusement, se trouvait être son ministre de la justice, Malick Sall, au moment des méfaits. L’Etat devra payer ses turpitudes. Impitoyablement…


PAR ADAMA GAYE

Amouradis

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