Afrique de l’Ouest-Sahel: vers une présence modulable et légère des troupes françaises…

Afrique de l’Ouest-Sahel: vers une présence modulable et légère des troupes françaises…

Lors d’une interview exclusive donnée à RFI et à l’AFP depuis Ndjamena lundi 15 mai, le général de division Bruno Baratz, commandant des forces françaises au Sahel depuis 10 mois, décrypte l’évolution du dispositif militaire français en Afrique. Une présence qui, après une décennie d’opération Barkhane, se veut désormais légère et modulable. Entretien avec notre envoyé spécial au Niger, Franck Alexandre.

RFI : L’armée française a tourné la page de l’opération Barkhane et de sa présence au Mali au début de votre mandat, à l’été 2022, et vous avez reçu pour mission d’élaborer avec le Niger un partenariat de combat rénové ou revisité, qui fait partie de la stratégie générale de « l’Afrique autrement ». Quelle est la nouvelle philosophie à l’œuvre au Sahel ?

Bruno Baratz : Au Niger, et de façon même globale partout en Afrique, la position philosophique est différente de ce qui se faisait au Mali. Aujourd’hui, notre aide part d’abord du besoin du partenaire. Le principe est de ne pas conduire d’opération à notre niveau, mais plutôt de venir amener des capacités pour que les armées africaines réalisent leurs propres opérations. Quand on me demande quel est le nom de cette nouvelle opération, puisque Barkhane a disparu, j’ai l’habitude de dire qu’il n’y a pas d’opération française ! Nous, on n’a plus d’opération, il y a uniquement celles de nos partenaires nigériens, tchadiens. Et nous, nous ne faisons qu’amener des capacités qu’ils n’ont pas encore, qu’ils sont en train d’acquérir et pendant un temps limité où ils estiment avoir besoin de notre soutien et de notre appui.

Exemple au Niger où les Forces armées nigériennes (FAN) sont en pleine montée en puissance. Ils espèrent avoir un effectif de 50 000 hommes à l’horizon 2025 pour pouvoir assurer seuls leur sécurité et la stabilité du Niger. Cette montée en puissance va se faire en deux temps, avec un objectif de 50 000 soldats dans deux ans et de 100 000 en 2030. Nous ne faisons que leur fournir certaines capacités pour leur permettre de faire face aux menaces terroristes, car ils ont quatre fronts à tenir en même temps, le long de la frontière malienne et celle du Burkina, la frontière libyenne et la région du lac Tchad. Pour faire face, ils ont besoin de notre aide, mais nous ne sommes pas les seuls, puisque d’autres partenaires occidentaux sont également à leurs côtés. En 2025, les FAN auront déjà de solides capacités pour endiguer les menaces sur leur sol, et ce, d’autant plus que le Niger a une stratégie de contre-insurrection qui est particulièrement efficace et qui a de bons indicateurs. L’objectif de leur lutte, c’est bien de sécuriser les populations et de permettre le retour de l’État dans les zones contestées par les groupes armés terroristes. Une stratégie simple et efficace, une approche globale avec le retour de l’État, des instances de dialogue entre communautés.

C’est tout l’intérêt de la Haute autorité de la consolidation de la paix, qui est là pour justement permettre ce dialogue et faire en sorte que les tensions qui, localement, peuvent apparaître, s’estompent. Le Niger a connu une rébellion touarègue, ce qui a poussé les autorités à trouver des solutions pour rétablir la concorde nationale. Aujourd’hui, les Nigériens connaissent leur fragilité, ils savent très bien qu’il faut promouvoir ce dialogue. Ce qu’ils font régulièrement, y compris avec les gens qui sont passés du côté obscur en rejoignant des groupes armés. Ils maintiennent le dialogue avec ces populations qui ont été tentées par l’aventure djihadiste. C’est beaucoup plus simple pour les armées françaises et les partenaires occidentaux de venir appuyer cette stratégie très claire. Et les objectifs atteints sont très pertinents, puisque, par exemple, l’année dernière, l’objectif numéro 1 de l’opération Almahaou (opération militaire nigérienne) était de faire en sorte que, dans le Liptako nigérien, tous les champs qui étaient à l’abandon en 2021 puissent être cultivés en 2022 et que les populations reviennent. Cet objectif a été atteint. Donc, on est bien dans cette logique de contrôle de l’espace. Et c’est là qu’on nous attend : aider les Nigériens à contrôler leur espace de façon à ce que les populations reprennent leur vie normale et que les services de l’État se remettent en place. Cela facilite notre appui.

Il y a une véritable résilience du Niger, qui est finalement inquiété sur toutes ses frontières et qui, malgré tout, parvient à tenir. C’est bien qu’ils ont réussi à trouver cet équilibre interne entre les communautés et éviter ainsi des luttes fratricides, comme on peut l’observer au Mali. Le Niger assume également pleinement d’avoir demandé le soutien de la France. Les Nigériens ne cachent pas du tout le fait d’avoir demandé l’appui d’autres pays occidentaux comme les Italiens ou les Américains. Ils savent parfaitement ce qu’ils veulent obtenir de tel ou tel partenaire. Ils ne demandent pas la même chose aux uns et aux autres, c’est toujours très complémentaire.

Quels sont les défis de cette nouvelle approche et les écueils à éviter ?

Il faut reformater les esprits de nos militaires. Beaucoup de nos unités sont passées au Mali, ont connu Barkhane. Or, ce que font les forces françaises aujourd’hui au Niger et au Tchad, ça n’a rien à voir en terme d’état d’esprit. On se met vraiment à la disposition du partenaire. Il n’y a pas de plan de campagne français, ça n’existe pas. C’est bien leurs opérations et on se cale sur leur rythme opérationnel.

Je ne vous cache pas que ça demande un peu de pédagogie ! C’est le changement culturel entre Barkhane et notre nouvelle mission qui est le premier point d’attention pour moi. Le second point d’attention, c’est l’approche éthique qui, parfois, n’est pas identique selon les troupes. On vient apporter un appui pour les populations et les armées locales. Or, pour eux, c’est une guerre existentielle, totale. Mais il est hors de question d’enfreindre nos règles et nos valeurs, c’est une ligne rouge.

Par ailleurs, nos partenaires ont parfois du mal à exprimer leur besoin. C’est pour cela qu’il est important de beaucoup les écouter et de beaucoup dialoguer.

L’évolution du dispositif militaire français en Afrique est en discussion depuis un an. La France envisage-t-elle de réduire drastiquement ses effectifs pré-positionnés, et quels sont les besoins exprimés par les pays partenaires ?

Le dialogue est toujours en cours. Récemment, notre ministre des Armées (Sébastien Lecornu, NDLR) s’est déplacé au Gabon, au Sénégal et en Côte d’Ivoire pour entamer justement les premières discussions sur l’organisation du dispositif. Aujourd’hui, le contour n’est pas complètement arrêté. L’idée, c’est de vraiment répondre aux besoins et aux souhaits des pays partenaires et d’établir une nouvelle forme de présence française, sachant que l’idée est de les appuyer seulement quand ils en ont besoin. Mais ça peut se faire aujourd’hui de façon différente.

On n’est pas obligé d’être très nombreux pour répondre à leurs besoins du moment, et ce, d’autant plus que certaines armées sont très développées et possèdent un très bon niveau opérationnel. Ils sont plus demandeurs d’exercices et d’entraînements conjoints avec nous, sur des courtes périodes, plutôt que d’avoir de gros contingents permanents de soldats français chez eux. Selon les pays, il y a des niveaux de maturité et des besoins très différents. Et donc, tout ça, ça va se définir petit à petit, progressivement, dans un dialogue entre ministères.

L’idée générale, bien entendu, est d’être le plus léger possible puisque finalement, aujourd’hui, avec les moyens de projection dont on dispose, avec les avions gros porteurs comme l’A400M, on peut assez facilement renforcer un dispositif. Les parachutistes français viennent par exemple de mener une opération de quelques jours au Niger et ils repartent immédiatement en France. Donc c’est un peu le modèle que l’on veut promouvoir, ne plus être visible sur le temps long.

Ce sera du sur mesure à chaque fois. Pour le Tchad, on est dans la même logique d’approche. Le besoin actuellement est plus dans le domaine aérien que terrestre. Le Tchad a bien compris l’intérêt de l’appui aérien et du renseignement aussi. Ce sont les deux axes d’effort souvent demandés. Au Tchad, le dispositif évoluera dans le temps. Le dialogue n’est pas terminé et on verra en fonction de leurs demandes, de leurs besoins, comment et sous quelle forme on pourra y répondre. 

Autre ligne de front : la guerre informationnelle menée par les mercenaires de Wagner pour entretenir le sentiment anti-français. Quel est l’état des lieux ?

La guerre informationnelle est généralisée par la Russie, qui attaque toutes les positions françaises. Eux se permettent de mentir et raconter n’importe quoi sur la France et ses agissements, de façon totalement éhontée. Cette campagne touche non seulement les pays où la France a été engagée, mais aussi les autres pays de la région où tout ce qui peut déstabiliser peut créer des marchés potentiels pour Wagner, qui est un système économique. On les voit très actifs au Burkina Faso, au Mali, en Centrafrique… Ils ont aussi fait croire à un coup d’État en cours au Niger. Ils essayent de cibler ce qu’ils estiment être les points faibles des pays, comme la stabilité politique, l’image de la France un peu partout.

Amadeus

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