PROCES ADJI SARR/SONKO: Les juges ont finalement tenu le coup
L’affaire de viols répétitifs avec menace de mort opposant Ousmane Sonko à Adji Sarr a connu son verdict hier le 1er juin 2023. La tenue de ce procès donne à croire que la justice est effectivement debout en dépit des lenteurs accusées et de la « cascade » de désistements des juges désignés pour juger Ousmane Sonko. Partie en mars 2021, cette affaire aux péripéties tragiques n’a finalement pas fait trembler la justice.
Le procès Adji Sarr/Sonko dans l’affaire de viols répétitifs et de menace de mort a finalement connu son épilogue ce jeudi 1er Juin 2023 avec la condamnation de Ousmane Sonko et de Ndèye Khady Ndiaye à deux ans ferme.
Si on interroge l’histoire, on se rend compte que l’audience spéciale du 23 mai 2022 a résisté à l’assaut des avocats de la défense qui tenaient, à tout prix, à un second renvoi. Ce à quoi le juge n’a pas adhéré. Ainsi, le procès s’est tenu ce jour sans les avocats de Ousmane Sonko et de Ndèye Khady Ndiaye qui ont tous boudé. La patronne de Sweet Beauté a fait face seule au juge sans sa défense.
C’est donc ce 23 mai, un président de la chambre criminelle, pugnace, qui a mené les débats jusqu’au bout. Face à ceux qui ont plaidé le renvoi, le président Issa Ndiaye a lâché : « Je le prends comme une affaire ordinaire. Je rappelle que les droits de la défense ont été amplement respectés. Nous estimons que la citation lui a été envoyée. En ce qui concerne les nouvelles constitutions, nous savons qu’elles ne peuvent pas retarder la procédure. Aussi, je vous ai suffisamment écouté par courtoisie. L’article 308 est clair. Quand l’accusé n’est pas présent, ses avocats n’ont pas droit à la parole. Je vous ai écoutés, mais ce que vous avez dit, ce sont des excuses. Donc, l’affaire est retenue ».
Acte fort posé
Un acte fort venait, ainsi, d’être posé. Car depuis mars 2021, cette affaire de viols répétitifs qui a tenu l’haleine donnait l’impression de ne jamais livrer son secret. Tant le chemin était parsemé de défiances de toutes sortes et de tragédies. Au total une vingtaine de morts a été dénombrée dans les manifestations ayant émaillé les convocations d’Ousmane Sonko au tribunal. Hier même, les manifestations qui ont suivi le verdict ont déjà enregistré deux morts à Ziguinchor. Le premier acte de défiance à la justice a eu lieu justement en mars 2021. Ousmane Sonko convoqué à la section de recherches de Colobane oppose aux enquêteurs son statut de député protégé par son immunité parlementaire.
A l’arrivée, la justice a pu faire face. Comme en 2011-2012, avec la campagne électorale présidentielle, parsemée de violences à cause du troisième mandat de Abdoulaye Wade. A la prestation de serment du président Macky Sall, alors nouvellement élu, le défunt président du Conseil constitutionnel, Cheikh Tidiane Diakhaté avait tenu, à sa manière, à rappeler que la justice n’allait pas se débiner. Parce que les «5 sages » à l’époque avaient essuyé de vives critiques en validant la candidature de Me Wade. Le 2 avril de cette année, alors qu’il installait Macky Sall au King Fahd Palace, feu Cheikh Tidiane Diakhaté a affirmé : « (…) Monsieur le président de la République, c’est en nous la victoire de la démocratie sénégalaise qui a su résister aux turbulences annoncées et amplifiées que seule la maturité du Peuple a su écarter. Les pesanteurs et les contingences de tous ordres ont pu être dépassées sans remettre en cause le socle de la Nation. (…) Pour sa part, le Conseil constitutionnel, seul organe habilité en l’occurrence à dire le droit, estime avoir joué sa partition avec responsabilité, sérénité et impartialité, malgré les contrevérités, agressions, insultes, menaces et invectives ». Puis, il convoque l’écrivain Jérôme Kardos : «’’Demain, dans le tir groupé des francs-tireurs embusqués, décochant depuis leur sombre repaire, des flèches assassines contre votre personne, retenez que c’est l’ambigu destin de ceux qui se lèvent au-dessus du lot commun. C’est dire que, où que vous tournez, vous n’avez ni faveur ici ni grâce là. Soyez et restez votre propre arbitre, c’est-à-dire celui qui sait s’occuper lui-même pour n’entendre que la voix de la conscience.’’ » Le propos s’adresse naturellement à tous ceux qui l’accusaient, lui et ses collègues, d’être du côté du Président sortant.
La réflexion est comme on le voit d’une brûlante actualité. Le président de la Chambre criminelle aurait pu embrayer dans le même registre que feu Cheikh Tidiane Diakhaté. Tant les attaques contre la justice et la cascade de désistements des juges désignés pour juger Ousmane Sonko ont fait croire que Dame justice a plié. Il n’en est finalement rien et c’est, à l’évidence, à l’honneur de la justice.
En tout cas, le tribunal a tenu le coup. Cela s’est traduit hier par un verdict. Dans son réquisitoire du 23 mai 2023, le ministère public avait demandé au juge de la Chambre criminelle de Dakar de déclarer Ousmane Sonko coupable des faits de viols qui lui sont reprochés et de le condamner à une peine de dix (10) ans de réclusion criminelle. « A défaut de retenir le crime de viol, de requalifier les faits en délit de corruption de la jeunesse et le condamner à cinq (5) ans de prison et à payer une amende de 2 millions de FCFA. En sus, d’un emprisonnement de cinq (5) ans pour menaces de mort », a-t-il sollicité. S’agissant de Ndèye Khady Ndiaye, le parquet général a requis 5 ans de réclusion criminelle pour complicité de viols et une amende de 100 000 de FCFA, et un an pour incitation à la débauche et diffusion d’images contraire aux bonnes mœurs.
Le Président de la Chambre Criminelle a suivi le Procureur en condamnant Ousmane Sonko à deux ans ferme pour « corruption de jeunesse » et Ndèye Khady Ndiaye à deux ans ferme pour incitation à la débauche. La Justice venait de montrer à la face du monde que son temps n’est pas celui des politiques et qu’elle sait se faire respecter à l’heure des grandes décisions. Dans le subconscient collectif, il était impensable d’emprisonner Ousmane Sonko, le chouchou des jeunes. Qui ose dire que la justice ne sort pas honorée de cette affaire ? Sans doute personne !
Jean-Paul SARR