Placé sous mandat : Sonko à huit clos
Lancé pendant deux ans dans un bras de fer avec l’Etat, Ousmane Sonko, qui a été placé sous mandat de dépôt par le Doyen des juges, a passé la nuit d’hier en prison. Cet emprisonnement, ajouté à la dissolution du parti Pastef, l’éloigne de son rêve présidentiel. Si certains feignent la consternation et la surprise, il était presque écrit que c’était l’issue de ce «Mortal kombat».
Par Bocar SAKHO – Que va devenir Ousmane Sonko ? Il faut être un oracle pour prédire l’avenir. Mais, le maire de Ziguinchor a reçu hier deux charges qui vont peser lourd, retarder ou empêcher l’accomplissement de son rêve ultime. Placé sous mandat de dépôt par le Doyen des juges, qui a suivi le réquisitoire du procureur de la République, le maire de Ziguinchor croule sous le poids de huit chefs d’inculpation : «Appel à l’insurrection, association de malfaiteurs, atteinte à la sûreté de l’Etat, complot contre l’autorité de l’Etat, actes et manœuvres tendant à compromettre la sécurité publique et à créer des troubles politiques graves, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, vol, mais également diffusion de fausses nouvelles.» Un 8ème chef ajouté à son dossier hier lors de son face-à-face avec le Doyen des juges. Il a passé sa première nuit en prison.
Que dire ? C’est la fin d’un bras de fer entre lui et l’Etat. Après une entrée en politique sans bruits, Ousmane Sonko réussit à se construire une assise médiatique au bout de quelques mois. Elle serait la suite de l’aura acquise à la tête du Syndicat des Impôts et domaines dont il fut le premier Secrétaire général. Ce qui, logiquement, lui a servi de boussole pour marquer son ascension politique. L’antique patine anti-occidentale de M. Sonko annonce des poussées révolutionnaires. Il réussit au moment où les partis politiques classiques sont menacés de déclin et frappés de lassitude à cause d’un système politique nécrosé au service des mêmes. Il vend un pays prospère, égalitaire et tourné vers l’avenir, charme une partie de la jeunesse, qui veut pousser les gérontes en dehors de la sphère politique. Porté par la poussée populiste et un discours souverainiste, Ousmane Sonko, radié de la Fonction publique pour violation de ses obligations de réserve, parvient à devenir député en 2017 grâce au système du «fort taux reste».
En 2019, il réussit à se placer troisième à la Présidentielle, derrière Idy et Macky. Après que le patron de Rewmi a rallié la majorité en novembre 2020, Ousmane Sonko se retrouve quasiment seul dans l’opposition. Le reste de celle-ci se joint au mouvement «patriotique» lors des Locales, puis les Législatives en janvier 2022 et juillet 2023, qui permettent à Yaw de faire de grands résultats.
Entretemps, il y a eu l’affaire Adji Sarr qui le poussa à renforcer sa stratégie pour se sortir d’une accusation infamante de viol. Théorisant un complot, il s’en prend à Macky Sall qu’il considère comme étant le scénariste. De mars 2021 à juin 2023, le leader des «Patriotes» déploie tous les moyens pour sortir d’un «Mortal kombat». Dans ses différents discours, il n’euphémise pas l’affrontement, il recourt plutôt à son vocabulaire pour réagir aux «persécutions» qu’il dit subir. Même s’il y avait des hommes qui ont le pouvoir de s’opposer à cette stratégie, de l’amender pour en réduire les risques d’escalade. Ces différentes sorties montrent, au demeurant, que les mots choisis par Sonko remportent des succès fulgurants autant que largement médiatisés, mais les étapes qui suivent sont plus chaotiques et crispent les autorités. Après des séries d’arrestations sans conséquences pénitentiaires, l’Etat a décidé cette fois-ci de durcir le ton contre Ousmane Sonko et le parti Pastef, qui constituent une «menace pour les institutions de la République».
Arrêté vendredi puis placé en garde à vue, ensuite déferré lundi et présenté à un juge d’instruction le même jour, le maire de Ziguinchor, sur lequel pèsent deux condamnations pour diffamation et corruption de la jeunesse, a vu son destin scellé durant ce week-end. Au Palais de justice de Dakar, baigné par un fin crachin, le dispositif mixte police-gendarmerie intimide les badauds. Les flics et les gendarmes «nettoient» les intrus qui se sont mêlés à l’armée de journalistes massés devant le Tribunal de Dakar. Il est presque 15h… Visages tirés, les avocats de Sonko sortent du Temple de Thémis pour annoncer la nouvelle, qui a l’effet d’une onde de choc : il est placé sous mandat de dépôt par le Doyen des juges…
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