Ziguinchor – Commerce de l’anacarde : Un business à la noix
Le traitement des noix de cajou est une activité lucrative qui constitue une alternative au chômage des jeunes et des femmes. Cependant, l’activité fait intervenir divers acteurs dont de valides bras qui en bénéficient inégalement. Dans ce reportage, effectué au niveau des magasins de stockage de l’anacarde à Ziguinchor, les ouvriers demandent un meilleur traitement financier compte tenu de la pénibilité du travail. Au même moment, les entrepreneurs se frottent les mains grâce à une longue campagne et une production abondante.
Une dizaine de femmes trient des noix de cajou au fur et à mesure que de jeunes hommes, armés de pelles, les dispersent sur une vaste bâche étendue sur le sol. Il s’agit d’une opération de traitement de l’anacarde en cette fin de saison. Les dernières productions nécessitent cette opération pour éviter d’emballer dans un sac puis dans un camion ou conteneur ne serait-ce qu’une noix pourrie. «Une seule noix pourrie dans un sac, c’est comme une pomme de terre pourrie dans un sac, cela risque de contaminer toute la marchandise», explique Ousmane Kaba, l’un des ouvriers du magasin de stockage sis au quartier Diabir. Les femmes sont assises sur les noix qu’elles trient sous un soleil de midi de cette mi-juillet, s’exposant ainsi à une chaleur extrême à longueur de journées. Elles enlèvent les mauvaises noix, reconnaissables de par leur couleur, qu’elles gardent soigneusement chacune dans un récipient. «Après, il s’agira de mettre les noix en sac et de les ranger dans le magasin de stockage», explique l’une d’elles. Les habits trempés, des gouttes de sueur dégoulinant de son visage, Hélène avance pour mieux expliquer son travail pénible à première vue : «oh que notre travail est dur. D’abord, on ne travaille que quand il y a du soleil. C’est impératif. Plus le soleil est ardent, plus c’est intéressant. C’est-à-dire qu’il faut traiter les noix pendant qu’elles sèchent. C’est pénible. Autant dire que nous séchons nous aussi», ironisa-t-elle. «Alors que nous n’y gagnons presque rien. C’est parce qu’il n’y a pas d’autres offres que nous sommes obligées de faire ça», ajouta Fatou S. Tout en expliquant leur travail, elles continuent de trier. Il n’est pas question qu’elles s’arrêtent. Le temps est précieux à double titre. D’abord c’est une course contre la pluie qui peut tomber à tout moment, même avec un ciel ensoleillé, ensuite elles sont payées en partie sur la base des déchets enlevés. Le kilogramme de noix de cajou infectées qu’elles ont trié leur est payé à 100 francs Cfa. Ça, c’est la paie personnelle. Celle collective concerne le groupage des noix et leur mise en sac. «Nous formons des tas de ces noix et nous les mettons dans les sacs que nous cousons ensuite. On le fait ensemble. Après le responsable nous paie le sac à 150 francs. Et enfin, nous nous partageons l’argent», détaille notre interlocutrice. Ce qu’elle gagne varie entre 1500 et 5 mille francs. Tout dépend du soleil et de la détermination des membres. «Parfois, il y a des fainéantes qui gonflent le nombre et qui ne foutent rien. Elles aiment l’argent mais ne savent pas travailler. C’est pourquoi les querelles sont fréquentes ici», se plaint Hélène. Dans un autre quartier, précisément à Kénia, même pénibilité de la même tâche. Mais ici, notre interlocutrice, qui a requis l’anonymat, est frileuse sur les revenus. «Cela varie. Il y a des journées agréables où on peut gagner jusqu’à 2500 francs. Mais il nous arrive de descendre avec 700 francs à la fin de la journée», confie-t-elle. «Dis plutôt 7000 quand c’est une journée bénite et 3000 quand cela ne marche pas», lança sa camarade dans un dialecte.
Ousmane Kaba est venu de Mbour pour travailler comme ouvrier dans les magasins de stockage d’anacarde à Ziguinchor. «Si on n’est pas assez actifs pour ramasser et faire entrer, les noix de cajou peuvent prendre l’eau et se gâter, donc nous sommes le moteur de cette activité», se vante Ousmane Kaba. «On peut descendre avec 14 mille comme hier par exemple», confie-til.
Les ouvriers ont certes un travail dur qui requiert beaucoup de force physique, mais ils trouvent du temps pour s’amuser ou discuter de tout et de rien. Leur travail consiste à décharger les camions ou conteneurs qui arrivent sur le site pour ranger les sacs dans les magasins, les sortir quand il y a du soleil et verser le contenu sur des bâches étendues devant le magasin. Une fois que les femmes finissent de trier, le séchage et la mise en sac, les ouvriers reprennent service en remettant les sacs en magasin. Ensuite, ils remplissent les camions ou conteneurs qui quittent le site pour le port. Une tonne déchargée monnayant 1500 ou 2 mille francs, selon la générosité du payeur. «On nous paie la tonne à 1500 francs. Une tonne déchargée 1500, ressortie pour séchage 1500, remettre dans le magasin même somme, et c’est aussi la même somme quand il s’agit de charger un camion», indique Ousmane Kaba. Le jeune homme de 28 ans ainsi que tous les ouvriers abordés souhaitent une augmentation de la paie à la tonne ou au conteneur. «Au moins 2000 F, car c’est pénible», ont-ils tous demandé. Ni à Diabir ni à Kénia, aucun des ouvriers n’a accepté de dire combien ils peuvent gagner dans une saison. «Nous y trouvons notre compte, même si c’est pénible. A la fin de la saison, quelqu’un qui gère bien son argent peut avoir un bon fonds pour mener d’autres activités», confie Ousmane Thiam.
Vendeur de friperie, il cesse son commerce pour travailler comme ouvrier à chaque saison d’anacarde. Oumar partage son expérience : «Je suis vendeur grâce à ce travail de manébeur (manœuvre) pendant la période des noix de cajou. La première fois, j’ai gagné 400 mille et suis allé me lancer dans la vente de friperie. Je suis toujours vendeur, mais quand arrive cette période des noix de cajou, je suspends le commerce et je reviens dans les magasins.» «Moi, en temps normal, je conduis un Jakarta que j’ai pu m’offrir grâce à ce travail de manébeur», confessa Ndiol, tout souriant. Son souci, qu’il partage avec d’autres garçons, c’est l’alimentation. «Il faut qu’ils augmentent la bouffe. C’est très peu ce que le patron donne pour manger», plaida-t-il. En effet, le gérant du magasin qu’ils appellent respectueusement «patron», met à leur disposition un sac de riz et 20 litres d’huile, plus parfois une modique somme de 5 mille francs pour la dépense. Il appartient aux ouvriers de se cotiser pour compléter la dépense et trouver une femme pour la préparation du repas. «Parfois, chacun donne 500 francs et une ou deux femmes parmi les manébeur se chargent de la préparation. Sinon, nous nous attachons les services d’une dame pour la payer après», expliquent-ils.
Les risques liés à l’activité
Les ouvriers et les femmes peuvent se permettre d’espérer une augmentation de la paie. Celle-ci est passée de 1000 francs la tonne à 1300, avant d’arriver à 1500. Cependant, une augmentation n’est pas dans les projets des opérateurs de l’anacarde. Ceux-ci estiment avoir déjà beaucoup fait pour les ouvriers. C’est vrai qu’ils font partie du maillon de la chaîne, mais les ouvriers ne courent aucun risque. «Même s’ils te déchargent un conteneur ou camion de noix pourries, tu devras les payer, ce n’est pas leur problème. Les Indiens ou les Chinois rejettent ta marchandise, ils ne partagent pas les risques. Il nous arrive de perdre des tonnes parce qu’elles ont été impactées par l’humidité ou parce que les revendeurs intermédiaires ont saboté le travail en mélangeant des noix de mauvaise qualité aux bonnes. Mais même pour aller jeter ces noix, nous les payons le chargement et le déchargement. Voyez-vous cela ?», se plaint Abdoulaye Diallo, gérant du magasin à Kenia. «Une noix pourrie dans un sac, c’est comme une pompe de terre pourrie dans un sac. Cela va infecter tout le sac. Aussi, tu peux être en train de sécher et la pluie te surprend. Dès que les noix prennent l’eau, tu perds le contrat avec le partenaire indien. Lui, quand il vient, avant de payer, il teste les noix, le outon ou le neton. Il peut te demander de resécher les noix. Il refait le test et te demande à nouveau de les resécher. Tout ça, ce sont des dépenses que tu devras assumer. A la fin, le partenaire peut baisser le prix parce que la qualité a diminué», a développé Abdoulaye. L’autre risque, c’est avec les revendeurs intermédiaires. «On peut leur faire confiance, leur donner de l’argent car ils vont dans les profondeurs, ramasser des noix. Les gens véreux mélangent les bonnes et les mauvaises noix. L’essentiel pour eux, c’est de remplir leur part de tonnes. Comme à notre niveau on ne peut pas apprécier la qualité, les Indiens, quand ils découvrent que la qualité n’y est pas, ils cassent les prix et c’est nous qui perdons», déplore Abdoulaye Diallo. A l’en croire, parfois les vendeurs intermédiaires fuient avec leur argent, pour dire que les risques sont gros. «On peut y gagner comme on peut y perdre. Mais il y a plus de pertes.»
Les propriétaires des magasins semblent être les grands gagnants dans ce business. Le magasin visité à Diabir est loué aux Indiens à 7 millions Cfa pour deux mois. Au niveau de Kénia, le local est loué à 10 millions Cfa. La saison des noix de cajou peut durer 3 à 4 mois. «Cela peut aller jusqu’à 20 ou 30 millions. C’est pourquoi maintenant tout le monde construit des magasins, car ça génère de l’argent», souffle-t-on. Il fut un moment où les magasins étaient rares parce qu’il y avait un retard au port. Les noix étaient restées dans les magasins, il n’y avait pas de départ alors que la production était abondante. La deuxième production a trouvé sur place la première. Du coup, un problème de stockage s’est posé partout. Ce qui a renchéri le loyer des magasins de stockage. La présente campagne, qui tire à sa fin, aura été très abondante. Elle a duré plus que d’habitude parce qu’il y a beaucoup de production. «Normalement, la campagne devait finir ce mois de juillet, mais nous allons continuer parce les noix sont disponibles et les Indiens en achètent. Donc on va continuer l’activité», a soutenu Abdoulaye Diallo.
S’y ajoutent les frais versés à la mairie qui, selon le gestionnaire du stock sis à Kénia, perçoit deux fois : au niveau du Port de Ziguinchor et niveau du site de séchage. «Sur ce petit espace, la mairie nous a réclamé 300 mille francs Cfa. Pourtant, le propriétaire du terrain passe souvent réclamer l’espace car il veut y cultiver. Je me demande à quoi joue la mairie. Heureusement que nous quittons les lieux aujourd’hui. Le travail est fini», a déclaré Ousmane. Les camions de noix de cajou proviennent de l’intérieur de la région, mais également de la Gambie et de la Guinée-Bissau, ces deux pays frontaliers.
Les Indiens sont les patrons de la plupart des sites. Mais ils n’ont pas voulu s’exprimer. Le prétexte est qu’ils ne parlent pas français. Du coup, ils délèguent leurs gérants pour toutes les questions. Pour celles qui les concernent directement, ils ne veulent rien dire. Les destinations des noix sont l’Inde et le Vietnam. Si la tonne d’anacarde brute se vend, selon un acteur sous l’anonymat, à 290 ou 300 mille francs Cfa, le produit fini est vendu à 7 millions la tonne en Inde ou au Vietnam, destinations privilégiées des productions sénégalaises.
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