Tariq Ramadan, «on assiste à une criminalisation de la critique de la politique d’Israël»
La guerre bat son plein au Proche-Orient et la Bande de Gaza est bombardée de jour comme de nuit en représailles de l’attaque menée le 7 octobre par le Hamas en Israël.
Depuis cette date, la possibilité, en France, d’afficher son soutien à la cause Palestinienne, a été mise à mal par les autorités, avec notamment une interdiction générale des manifestations sur ordre du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, jusqu’à ce qu’il ne soit épinglé par le Conseil d’Etat le 18 octobre dernier.
Mais au-delà de cette entrave à la liberté de manifester, une offensive est désormais menée par une quinzaine de sénateurs de droite, qui proposent de faire adopter une nouvelle loi sanctionnant l’antisionisme.
Trois mesures pénales y sont proposées, dont la possibilité de punir d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui auront contesté l’existence de l’État d’Israël, de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, l’injure commise envers l’État d’Israël, et de cinq ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende ceux qui auront directement provoqué à la haine ou à la violence à l’égard de l’État d’Israël.
Le texte tel qu’il a été soumis par les sénateurs à l’origine de la proposition de loi, ne fait pourtant aucune mention de l’antisionisme mais évoque plutôt des faits qui pourraient être assimilés à un rejet de la politique menée par Israël.
Dans une interview exclusive accordée, le professeur Tariq Ramadan, note à cet effet une volonté évidente de « criminaliser la critique de la politique d’Israël » en la ramenant à « la critique d’un État ».
Qualifiant cette proposition de loi « d’extrêmement révélatrice de la puissance de ceux qui sont à l’intérieur des systèmes politiques français », le politologue considère qu’il existe « un engagement de certains dans un soutien qui est totalement aveugle avec une véritable influence de certaines entités, parmi lesquelles des politiques mais également le CRIF (conseil représentatif des institutions juives de France) ».
« On est passés à une confusion volontaire entre l’antisémitisme que nous condamnons tous, et l’antisionisme alors que ce fut reconnu pendant longtemps comme un projet politique par les Nations Unies », poursuit Tariq Ramadan qui déplore une volonté d’empêcher « la critique politique du projet colonial » israélien.
S’agissant de la notion de « terrorisme » invoquée pour empêcher « tout soutien à la résistance envers ce projet colonial », le professeur souligne qu’elle permet « la sacralisation d’une ethnie, d’une politique et d’un gouvernement qu’on peine à pouvoir critiquer aujourd’hui ».
Il prend à ce propos l’exemple de nombreuses émissions françaises au cœur desquelles « on fait mine de ne pas connaître l’histoire en suivant la propagande de ce qu’on appelle la Hasbara, qui est véritablement dictée et qui consiste à dire que tout a commencé le 7 octobre ».
« À partir de là, la victime de ce qui s’est passé le 7 octobre est tellement sacralisée qu’on ne peut plus demander à ce que ce qu’Israël dit médiatiquement soit vérifié par une enquête internationale parce qu’on serait accusés de négationnisme », grince Tariq Ramadan.
Et de poursuivre : « On considère ainsi que toute sa politique est légitimée dans la manière de répondre, y compris par des crimes de guerre, le non-respect des conventions de Genève et des droits des peuples ».
Le politologue souligne enfin que la population palestinienne est « complètement déshumanisée par cynisme politique » mais que « dans la population française, de plus en plus de gens ne sont pas dupes de ce qui se passe et de voix se lèvent contre ce qui est mis en place ».
« On est en train de voir le vrai visage de ceux qui ont plus d’appartenance que d’humanité », conclut-il en fin d’entretien.
Sur ce dernier point, la France, comme de nombreuses autres puissances, n’a jamais appelé à un cessez-le-feu dans la Bande de Gaza, se limitant à plaider pour « une trêve humanitaire immédiate ».
Si le président Emmanuel Macron s’est défendu de pratiquer un « double standard » au cours de sa tournée au Proche-Orient, et au terme de ses discussions avec le roi de Jordanie Abdallah II, et le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, la position française n’a pas évolué pour autant.
Une conférence de financement humanitaire à destination de la population de Gaza se tiendra le 9 novembre à Paris à l’initiative du chef de l’Etat et réunira plus de 80 pays et organisations.
Malgré cette démarche, de nombreuses interrogations pèsent sur les intentions de la France, dont les intérêts à Gaza ont été ouvertement visés par des bombardements de l’armée israélienne début novembre (les locaux de l’AFP et de l’institut français), mais qui pour autant, n’exige aucun cessez-le-feu pour protéger les Palestiniens.