Classement des Universités-« Non l’UCAD n’est pas la 21e meilleure université africaine »:Idriss Maham corrige Moussa Baldé…
Face aux députés, le ministre de l’Enseignement Supérieur et de la recherche scientifique s’est glorifié que l’ Université Cheikh Anta Diop soit la première Université francophone d’ Afrique et qu’ elle se situe à la 21ème place africaine. Ce à quoi n’adhère pas le blogueur Idriss Maham. Ce dernier à travers une contribution démonte le ministre Moussa Baldé. Nous reproduisons in extenso sa production intellectuelle.
Je voudrais m’adresser non pas au respectable ministre que vous incarnez, mais au Professeur, au Docteur en mathématiques appliquées et au Directeur de recherche que vous êtes. Dans votre allocution devant l’Assemblée nationale lors du vote de votre budget ministériel, vous mentionnez que l’Université Cheikh Anta Diop est la 1re Université francophone d’Afrique, mais aussi qu’elle trône fièrement à la 21e place africaine.
Professeur, vous faites référence ici au dernier classement UniRank qui est un classement, tenez-vous bien, basé sur le web et non académique. UniRank a la même crédibilité que la maman qui dirait à son fils qu’il est le plus beau de tous. En effet, c’est le classement le moins objectif et le moins crédible de toute la galaxie des organisations de « ranking ».
Il utilise un algorithme basique basé sur la présence des Universités dans le Web, leur popularité en termes de trafic « estimé », sans jamais s’intéresser à la qualité de l’enseignement et des infrastructures encore moins à la production de savoirs (recherche et publications). Sa méthodologie repose essentiellement (55%) sur le MDC (Majestic Domains Checker), un outil de référencement qui indique le nombre de domaines ayant des liens vers un site web X ou Y.
Professeur, pour un classement d’influenceurs ou de célébrités ça peut faire l’affaire, mais en aucun cas on ne peut se baser sur UniRank pour justifier de la crédibilité de ses institutions académiques. Par ailleurs, UniRank précise de façon salutaire sur sa plateforme que la nécessité de transparence de sa méthodologie et la capacité de tester et de reproduire ses résultats ne sont pas garanties comme le suggèrent les principes de Berlin du fait justement du caractère « non-académiques » de leurs classements. Mis en place par le Centre européen de l’UNESCO pour l’Enseignement supérieur et l’Institute for Higher Education Policy, ces « principes » de Berlin constituent le code d’honneur sacré de toute organisation désirant faire du « classement ».
Professeur, si vous souhaitez évaluer les performances de l’UCAD ou de l’UGB ou tout autre établissement public d’enseignement supérieur sénégalais, il faudra vous fier au Quacquarelli Symonds (abrégé « QS »), au Times Higher Education (abrégé « THE ») ou Shanghai Ranking Consultancy (communément appelé le « classement de Shanghai »).
Ils demeurent les principaux organismes « indépendants » qui livrent chaque année un « vrai » classement mondial des universités. Du fait de leur respect des principes de Berlin et la combinaison de performances en matière de recherche et de réputation académique pour produire des classements, ces organismes, sans être exempt de critiques, font autorité.
Leurs critères sont guidés par la productivité scientifique et couvrent des paramètres comme les effectifs du personnel universitaire, le nombre total d’articles indexés dans le SCI-E (Science Citation Index-Expanded), le nombre d’articles publiés dans les fameux journaux Nature et Science, le nombre de chercheurs hautement cités sélectionnés par Clarivate, entre autres.
Pour figurer dans ces classements, c’est simple : fédérer les Universités sénégalaises dans un régime de production de savoirs et se départir de l’approche « coloniale » de la formation. Entendez par approche coloniale, la vision africaine de l’Université (léguée par le colon) comme « simple » continuité de la formation après le baccalauréat de l’enseignement secondaire pour créer des hiérarchies bidons entre futurs commis-robot de l’État ; alors qu’au fond, elle est à voir comme un haut lieu par excellence de production de savoirs qui se matérialise par les publications scientifiques et les brevets, qui par la suite se concrétisent en retombées économiques et sociales lorsque ces savoirs sont valorisés puis transférés à la communauté.
Au-delà de cette limitation « idéologique », cette grande absence de l’Afrique et du Sénégal en particulier pourrait s’expliquer par la limitation des ressources investies dans la recherche, les obstacles liés à la visibilité internationale et à la diffusion des connaissances, mais aussi de façon plus globale par les défis structurels et économiques que vos gouvernements attaquent au marteau en lieu et place d’user du bulldozer.
Cher Professeur, au moment même où le Président de la République remettait les prix MACKY SALL du CAMES pour la recherche (fonds porté à 2 milliards en 2023, bravo !), il y’a de nombreux enseignants vacataires de la faculté de médecine de l’UCAD qui ont des arriérés de salaires de plus de 11 mois, soit bientôt une bonne année. Par ailleurs, en ce même moment, le Sénégal est passé de 11409 doctorants en 2018 à seulement 6329, soit une baisse effroyable et triste de 55%. Dans tous les pays du monde, ce taux progresse et fracasse des records, car vous n’êtes pas sans savoir que la croissance et l’innovation sont « fonction » du capital humain hautement qualifié.
Sachez par ailleurs qu’en plus des données bibliométriques, c’est dans une moindre mesure l’obtention de prix jouissant d’une forte reconnaissance internationale comme un prix Nobel, ou une médaille Fields qui vient renforcer la position des universités candidates dans ces classements. Ce n’est pas en asphyxiant la relève scientifique du pays que l’on y arrivera.
Cependant il n’y a pas de fatalité inéluctable, car l’Afrique du Sud et plus globalement les nations anglophones d’Afrique se sont frayées un chemin pour être dans ces classements en raison de l’excellence de leur enseignement, de leur recherche et de l’impact sur leurs sociétés. Il n’y a pas alors de raison pour nous de ne pas y figurer ou de nous enorgueillir de classements bidons non académiques.
Entendons-nous bien Professeur, je ne vous contesterai jamais la popularité de l’UCAD en Afrique. C’est une université mythique. Mais ça, c’est pour les émotifs. L’UCAD arrive effectivement à la 26e place d’un autre classement récent produit par un organisme dont le nom est assez proche de UniRank et qui s’appelle EduRank. Cet organisme, un peu plus fiable que UniRank, se base à hauteur de (seulement) 45% sur la performance de la recherche. Son talon d’Achille est qu’il pondère à 55% (donc plus de la moitié) des paramètres non académiques (comme la présence sur le web).
S’agissant de la 1re francophone, le doute est permis devant les Universités tunisiennes (telles que Tunis, El Manar, Sfax, Sousse), les Universités marocaines (telles que Mohammed V de Rabat), les Universités algériennes (telles que Djillali Liabès de Sidi-Bel-Abbès, Houari Boumediene). En effet ces universités maghrébines ont, à la différence des Universités sénégalaises, déjà été introduites au moins dans l’un des trois classements QS, THE ou Shanghai.
Professeur, pour finir, il existe désormais un marché mondial de l’enseignement supérieur ou les Universités séduisent à coup de bourses et d’avantages incroyables les talents du monde en exhibant leur prestige et leur cadre exceptionnel d’enseignement et de recherche. Si vous ambitionnez réellement de positionner l’UCAD et les Universités sénégalaises dans le top 100 mondial et le top 5 africain, n’ayez qu’une seule boussole : « la production de savoirs ». Que ces mots soient votre leitmotiv dans tous vos projets à l’endroit des Professeurs et des étudiants.
Idriss Maham