Un 7 février 1986 que nous quittait:  Cheikh anta diop, le pharaon du savoir…

Un 7 février 1986 que nous quittait:  Cheikh anta diop, le pharaon du savoir…

 L’éminent savant sénégalais Cheikh Anta Diop ayant vu le jour le 29 décembre 1923 sur les sables arides du village de Thiaytou ( département de Bambey, région de Diourbel ) a rendu l’âme le 7 février 1986 à Dakar, face à l’Atlantique. Ce savant sénégalais dont la plus grande Université du Sénégal porte le nom depuis mars 1987, était à la fois un physicien, un mathématicien, un chimiste, un historien, anthropologue, un philosophe, un linguiste, un égyptologue, un homme politique et un panafricaniste, au même titre qu’un Lumbumba, un Kwameh Nkrumah ou d’un Khadafi. Ses recherches et travaux ont révélé l’antériorité des civilisations noires et africaines dans l’histoire et leur apport à la culture mondiale.

Profondément attaché aux valeurs traditionnelles locales, il s’est battu corps et âme, pour la cause et les intérêts d’une Afrique debout, rejetant l’acculturation et la néo-colonisation. Ce vendredi 7 février 2024 marque les 3 8 ans de la disparition de celui qui est communément appelé « Le Pharaon du Savoir ».

 Focus sur l’une des plus grandes fiertés du Sénégal et de l’Afrique. Celui qui disait qu’il était quasi impossible de s’épanouir socio- économiquement dans une langue étrangère et que le développement n’était qu’une vue de l’esprit avec une Afrique émiettée et divisée.

Après s’être imbu d’études coraniques et de tradition orale, Cheikh débarque à Paris pour étudier la physique et la chimie. Avec 23 hivernages sur les épaules, le jeune Cheikh Anta  s’oriente aussi vers l’histoire et les sciences sociales. Il suit en particulier les cours de Gaston Bachelard et de Frédéric Joliot-Curie. Il adopte un point de vue spécifiquement africain face à la vision de certains penseurs et auteurs de l’occident tels Hegel, selon laquelle les africains sont des peuples sans passé et sans histoire. En 1951, Cheikh A. Diop prépare sous la direction de Marcel Griaule, une thèse de doctorat à l’Université de Paris- Sorbonne, dans laquelle il affirme que « l’Égypte antique était peuplée d’africains noirs, et que la langue et la culture égyptiennes se sont ensuite diffusées dans l’Afrique de l’Ouest ». Il ne parvient pas dans un premier temps à réunir un jury mais sa thèse rencontre un « grand écho » sous la forme d’un livre intitulé « Nations Nègres et Culture ». Sa publication en 1954 était considérée comme une bombe à Paris et au quartier latin, en pleine effervescence, avec des adeptes de la négritude tels Senghor, Césaire, Damas, Alioune Diop.

Cheikh obtiendra finalement son doctorat en 1960. Il poursuit dans le même temps une spécialisation en physique nucléaire au laboratoire de chimie nucléaire du Collège de France. Le chercheur met à profit sa formation pluridisciplinaire pour combiner plusieurs méthodes d’approche. Il s’appuie sur des citations d’auteurs anciens comme Hérodote et Strabon pour illustrer sa théorie selon laquelle les égyptiens anciens présentaient les mêmes traits physiques que les africains noirs d’aujourd’hui ( peau noire et basanée, cheveux courts et crépus, nez épaté et lèvres charnues). Son interprétation de données d’ordre anthropologique (comme le rôle du matriarcat) et archéologique l’amène à conclure que «  la culture égyptienne est une culture nègre ». Sur le plan linguistique, il considère en particulier que le Wolof, parlé au Sénégal et étendu en Afrique occidentale, est phonétiquement apparenté à la langue égyptienne antique.

Retour au Sénégal

 Après l’obtention de son doctorat, il revient au Sénégal, enseigner comme maître de conférences à l’université de Dakar. Il y obtiendra en 1981 le titre de professeur. Mais dès 1966, il crée au sein de cette université de Dakar le premier laboratoire africain de datation des fossiles archéologiques au radiocarbone, en collaboration avec celui du Commissariat français à l’énergie atomique (Cea) de Gif-sur-Yvette. Il y effectue des tests de mélanine sur des échantillons de peau de momies égyptiennes, dont l’interprétation a permis, de confirmer les récits des auteurs grecs anciens sur la mélanodermie des anciens égyptiens.

Participation au Comité scientifique

Dans les années 1970, le Pr Cheikh Anta Diop participe au comité scientifique international qui dirige, dans le cadre de l’Unesco, l’élaboration de l’Histoire générale de l’Afrique (HGA), un projet éditorial ambitieux qui comptera huit volumes. Pour la rédaction de cet ouvrage, il participe en 1974 au Colloque international du Caire où il confronte les méthodes et résultats de ses recherches avec ceux des principaux spécialistes mondiaux. À la suite de ce colloque international où il a eu un grand succès, le professeur Diop rédige un chapitre sur «L’origine des anciens égyptiens», et G. Mokhtar, professeur à l’université du Caire rédige le chapitre sur «L’Égypte pharaonique». À la suite du chapitre 1, est publié un compte-rendu des débats lors du colloque qui mentionne l’accord des spécialistes ( à l’exception de l’un d’entre eux ) sur les éléments apportés par Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga au sujet du peuplement de l’Égypte ancienne. Cependant, il est précisé que «de nombreuses objections ont été faites aux propositions du professeur Diop qui révèlent l’étendue d’un désaccord qui est demeuré profond». Si, pour le professeur Jean Vercoutter,  «l’Égypte était africaine dans son écriture, dans sa culture et dans sa manière de penser», la communauté scientifique reste néanmoins partagée sur la nature du peuplement de l’Égypte ancienne.

Engagement politique de Cheikh Anta Diop

C’est en 1947 que l’enfant de Thiaytou s’est engagé politiquement en faveur de « l’indépendance des pays africains et de la constitution d’un État fédéral en Afrique ». Jusqu’en 1960, il lutte pour l’indépendance de l’Afrique et du Sénégal et contribue à la politisation de nombreux intellectuels africains en France. Entre 1950 et 1953, il est secrétaire général des étudiants du Rassemblement démocratique africain (RDA). Et dénonce très tôt, à travers un article paru dans « La Voix de l’Afrique noire », l’Union française, qui, «quel que soit l’angle sous lequel on l’envisage, apparaît comme défavorable aux intérêts des Africains. Poursuivant la lutte sur un plan plus culturel, il participe aux différents congrès des artistes et écrivains noirs et, en 1960, il publie alors ce qui va devenir sa plateforme .politique : «  Les fondements économiques et culturels d’un futur État fédéral en Afrique noire».

Cheikh Anta Diop est l’un des principaux instigateurs de la démocratisation du débat politique au Sénégal. Il a animé l’opposition institutionnelle au régime de Léopold Sédar Senghor, à travers la création de partis politiques (le FNS en 1961, le RND en 1976), d’un journal d’opposition (Siggi, renommé par la suite Taxaw) et d’un syndicat de paysans. Sa confrontation, au Sénégal, avec le président- poète, Léopold Sédar Senghor, serait l’un des épisodes intellectuels et politiques les plus marquants de l’histoire contemporaine de l’Afrique noire.

Après avoir rendu la vérité historique et passé le témoin lors du fameux symposium qui a réuni les sommités universitaires et les étudiants africains à l’université, Cheikh Anta Diop meurt dans son sommeil à Dakar, le 7 février 1986. Il est considéré comme l’un des inspirateurs du courant épistémologique de « l’afrocentricité ». Ses disciples tels Théophile Obenga ou Asante Kete Molefe ont suivi. En 1966, lors du premier Festival mondial des Arts nègres de Dakar, le panafricaniste sénégalais a été distingué comme «l’auteur africain qui a exercé le plus d’influence sur le 20 ème siècle. Le 8 février 2008, le ministre de la Culture d’alors du Sénégal Mame Birame Diouf a inauguré un mausolée perpétuant la mémoire du chercheur à Thiaytou, son village natal où il repose pour l’éternité.

Que retenir aussi des enseignements du « Pharaon du savoir », surtout dans un contexte socio- économique mondial assez hostile ?

L’homme du carbone 14 de l’FAN instruisait que le développement socio- économique, la démocratie et la bonne gouvernance ne peuvent se faire dans la langue d’autrui. Pour lui, le génie d’un peuple se trouvait dans l’appropriation des données scientifiques et socio- culturelles des langues locales et du terroir. Il était impérieux ainsi pour lui, de donner le primat de l’enseignement des langues locales du primaire à l’université. Cheikh Anta Diop recommandait aussi le bannissement des micro nations et micro Etats. Pour lui, l’état de balkanisation où se trouve l’Afrique tranche d’avec l’accès au progrès. L’Afrique, riche de toutes les potentialités et ressources du monde, ne peut devenir ainsi une puissance mondiale ( au même titre que l’union européenne ou les Etats- unis d’Amérique ) que si elle parvenait à son unité culturelle, linguistique, économique, politique et à l’effectivité de sa fédération.

Le Pr Iba Der Thiam disait que « Cheikh Anta a été un modèle inégalable ». Madior Diouf faisait remarquer que « Cheikh était un robot sublime d’intelligence et de sagesse, surnageant une mer immense de tranquillité ». Suffisant aussi pour un retour au pèlerinage à Thieytou, où ce mercredi 7 février 2024, les pèlerins viennent pour se recueillir et butent sur ces lettres d’or: « Arrête voyageur. Tu foules un héros ». Pour l’invite au ressouvenir, à la remémoration d’un immortel qui a indiqué à nos gouvernants et à nos peuples les sillons à suivre.

Mohamed El Amine THIOUNE

Amadeus

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