Le Sénégal a été considéré comme le pays le plus stable en Afrique, en raison de ses valeurs républicaines et de son ancrage à la démocratie ainsi qu’à l’État de droit.
Tous les régimes politiques qui se sont succédé ont pu conjurer les crises politiques , grâce à l’usage d’une violence d’État strictement proportionnée et nécessaire au rétablissement de l’ordre et de la sécurité publique.
Celui qui nommait aux emplois civils et militaires disposait de la force publique, mais avait toujours à l’esprit la primauté du droit, l’impérieuse nécessité du respect de l’équilibre des pouvoirs, la cohésion sociale dont le cousinage réel ou mythique était un socle garant de la paix et de la stabilité.
La paix et l’image du Sénégal étaient à leurs yeux inestimables; la concertation, le dialogue national ou la médiation valaient leur pesant d’or et rétablissaient toujours une entente durable ainsi que la cohésion.
Malheureusement, le pays a sombré dans les bas-fonds d’une déchéance démocratique, de l’effondrement de l’État de droit, de la dégénérescence de l’ensemble de ses institutions, de la décadence culturelle et, jamais le peuple sénégalais n’a été victime d’autant de cruautés et d’atteintes aux libertés, dans l’exercice d’un pouvoir d’État par des personnes qu’il a élues pour le servir.
Les libertés publiques et le droit à la justice, la liberté d’expression jusqu’à la liberté de penser, la liberté et le droit d’association, ont été confisqués par des hommes politiques et des magistrats; le sang a coulé à flots pour la confiscation du pouvoir, une ligue des institutions ayant, à n’en pas douter, une unité de dessein s’est créée et renforcée, pour contenir le désir, le choix et l’aspiration des Sénégalais à une rupture et à un changement structurel.
L’appel au dialogue ne doit nullement occulter la face hideuse de Janus, et être une occasion pour continuer intelligemment de laisser la bride autour du cou d’innocentes victimes, avec des libertés provisoires en lieu et place de non-lieux qui restituent la dignité humaine et mettent fin à l’injustice collective parce que, vécue et ressentie par tous ceux qui, au Sénégal comme hors de nos frontières, ont suivi les événements douloureux.
Par ailleurs, le Conseil Constitutionnel a, une fois de plus, raté son rendez-vous avec le peuple, lequel lui assigne le devoir de veiller sur le respect de la constitution et des valeurs qu’il a lui même bien énoncées à l’Attendu 19 de sa décision 1/C/24, rendue le 15 février 2024, car l’attendu 20 suivant laisse un goût d’inachevé et une incertitude, qui ne pérennisent pas la relative stabilité observée par les citoyens depuis qu’il a été saisi de la question sous-jacente du respect du calendrier électoral.
La réponse à cette dernière question était pourtant tranchée et scellée, lorsque le Conseil a annulé la loi votée par l’Assemblée Nationale et le décret abrogeant celui qui avait fixé la date des élections au 25 février 2024, car le décret d’abrogation disparaissait avec ses effets juridiques, et celui abrogé était désormais censé ne l’avoir jamais été.
Ainsi, Vu l’intérêt majeur du contentieux qui lui était soumis, ainsi que ce qui pouvait être considéré comme une évidence à savoir que la loi votée par l’Assemblée nationale était incompatible et inconciliable avec d’autres dispositions de la constitution et la sacralité de la disposition tripotée, le Conseil Constitutionnel a aussi tardé à rendre sa décision, alors que l’hypothèse d’un second tour n’est pas exclue par la loi électorale, même si les Sénégalais ont massivement exprimé leur choix d’en finir avec le système actuel dès les premières heures du scrutin.
Si le scrutin est transparent et loyal, le Conseil Constitutionnel n’aura probablement pas à proclamer les résultats définitifs au delà du 2 Avril 2014, ni à s’inquiéter d’un peu probable second tour.
Par ailleurs, le 20e attendu de la décision du Conseil Constitutionnel est une boîte de Pandore. Si aucune date n’est fixée pour le jour de l’élection conformément aux lois en vigueur et pour la reprise à zéro de la campagne électorale le 25 février 2024, la situation sera davantage plus confuse, chaotique, et les effets pervers du coup d’Etat institutionnel avorté se feront sentir, sans compter le risque pour le nouveau Président élu de ne pas présider la fête de l’indépendance du 4 Avril 2024.
Les peuples mûrissent toujours des épreuves cruelles que leur font endurer ceux qui ont la charge et la mission de les servir. Ils apprennent de leurs erreurs dans le choix de leurs dirigeants politiques et le mode de désignation de leurs juges. *Avocat à la Cour