TikTok bientôt interdit aux États-Unis? Ce qu’il faut savoir du projet qui menace la plateforme chinoise
La Chambre des représentants doit examiner cette semaine une proposition de loi obligeant ByteDance, la maison mère de TikTok, à vendre l’application, faute de quoi elle serait interdite aux États-Unis. Explication.
Tic tac, tic tac… Les jours de TikTok aux États-Unis sont-ils comptés ? Jeudi 7 mars, la commission de l’Énergie et du Commerce de la Chambre des représentants a approuvé à l’unanimité un projet de loi bipartisan qui forcerait ByteDance, la société mère chinoise du célèbre réseau social, à en céder le contrôle capitalistique dans un délai de 165 jours. Faute de quoi l’application serait supprimée des magasins d’applications mobiles aux États-Unis. Le texte doit être examiné en séance plénière cette semaine. La Maison Blanche a d’ores et déjà annoncé son intention de le signer s’il était adopté par le Congrès.
« Cette proposition de loi a un résultat prédéterminé : une interdiction totale de TikTok aux États-Unis », a dénoncé le réseau social. Le matin même du passage en commission, les utilisateurs de la plateforme ont vu s’afficher sur leur page d’accueil un message les encourageant à empêcher cette « fermeture » en faisant pression sur leurs représentants au Congrès. « Le Congrès prévoit l’interdiction totale de TikTok. Exprimez-vous maintenant, avant que le Congrès retire à 170 millions d’Américains leur droit constitutionnel à la liberté d’expression. Cela va porter atteinte à des millions d’entreprises, détruire les moyens de subsistance d’innombrables créateurs à travers le pays et priver des artistes de leur audience. Faites savoir à vos représentants au Congrès ce que TikTok représente pour vous et dites-leur de voter non », pouvait-on lire.
L’effet a été immédiat. Des parlementaires ont indiqué avoir subi un déluge d’appels téléphoniques provenant de personnes de tous âges, certaines se montrant particulièrement virulentes. « Vous avez ici un exemple d’application contrôlée par un adversaire qui ment au peuple américain et qui interfère avec le processus législatif du Congrès », a réagi le républicain Mike Gallagher, coauteur du texte avec le démocrate Raja Krishnamoorthi. « Nous voyons clairement pourquoi le Parti communiste chinois veut conserver TikTok, a appuyé ce dernier : pour sa capacité à cibler les Américains, propager des infox et relayer la propagande du PCC. »
Qu’est-il reproché à TikTok ?
Les législateurs américains invoquent une menace pour la sécurité nationale. Ils disent craindre que les données personnelles récoltées par TikTok soient utilisées par les renseignements chinois. Comme Facebook, Instagram, X ou YouTube, TikTok collecte en échange de la gratuité de ses services des informations dont elle se sert à des fins commerciales. Mais à la différence de ses concurrents, la plateforme de vidéos courtes est détenue par une société chinoise, ByteDance, que les autorités américaines accusent de coopérer avec le régime communiste. Des accusations alimentées par une loi de juin 2017 qui oblige les entreprises chinoises à collaborer avec les services de renseignement de Pékin, mais qui pour l’instant n’ont pas été étayées par des preuves tangibles.
TikTok a beau répéter que son siège est basé à Singapour, que les données de ses utilisateurs américains ne sont pas stockées en Chine, mais aux États-Unis ou à Singapour, et que ses employés chinois ne peuvent pas y avoir accès, rien n’y fait. Ses tentatives de montrer patte blanche ont été mises à mal en décembre 2022, lorsque ByteDance a admis avoir licencié plusieurs de ses employés en Chine qui s’étaient servis de ces données personnelles pour espionner des journalistes qui enquêtaient sur l’entreprise, afin d’identifier leurs sources.
Les autorités américaines redoutent également que Pékin utilise le réseau social à fort potentiel addictif à des fins de désinformation. Elles évoquent aussi un danger pour la santé mentale et physique des plus jeunes, premiers utilisateurs de l’application.
Cette charge contre TikTok est-elle inédite ?
Les menaces d’interdiction de TikTok aux États-Unis ne datent pas d’hier. En août 2020, l’administration Trump avait déjà sommé ByteDance de vendre les activités américaines de TikTok pour les mêmes raisons que celles invoquées aujourd’hui. À l’époque, Microsoft s’était positionné pour les racheter. La presse américaine avait évalué l’opération entre 10 et 40 milliards de dollars.
Cette charge des autorités américaines avait déclenché un bras de fer judiciaire auquel Joe Biden avait mis fin dès l’année suivante en annulant le décret pris par son prédécesseur. Sa décision avait été interprétée comme un geste d’apaisement envers Pékin. Plusieurs propositions de loi ont depuis été déposées au Congrès, sans qu’aucune n’aboutisse.
Une interdiction de TikTok est-elle réellement possible ?
Une telle interdiction ne serait pas une première. En juin 2020, l’Inde a interdit TikTok sur son territoire, avec 58 autres applications mobiles chinoises, arguant qu’elles violaient la souveraineté indienne en transférant illégalement des données personnelles à l’étranger. Cette décision faisait suite à la mort de 20 soldats indiens dans des combats avec l’armée chinoise dans l’Himalaya. Avec 120 millions d’utilisateurs, le pays représentait alors le plus grand marché de la plateforme hors de Chine. En novembre dernier, le Népal a pris la même décision, affirmant qu’elle nuisait à « l’harmonie sociale ».
Aux États-Unis, si le projet de loi a de grandes chances d’être voté à la Chambre des représentants, son avenir au Sénat demeure plus incertain. D’autant que les opposants au texte l’accusent d’être contraire à la Constitution, et en particulier au premier amendement relatif à la liberté d’expression. En novembre dernier, un juge fédéral a ainsi suspendu l’interdiction de TikTok dans le Montana où elle devait entrer en vigueur le 1er janvier, en attendant que l’affaire soit jugée sur le fond. Il a estimé que l’entreprise avait de bonnes chances de remporter son action contre l’État du Montana, car la mesure violait le premier amendement et le droit de s’informer en ligne.
Pour l’instant, les mesures prises dans de nombreux pays contre l’application chinoise se limitent à interdire aux fonctionnaires d’utiliser l’application. C’est le cas aux États-Unis, en Australie, au Royaume-Uni, en Belgique, au Canada, mais aussi au sein de la Commission européenne.
Qu’en disent Joe Biden et Donald Trump ?
Même si la Maison Blanche partage les craintes des législateurs sur les dangers que représente TikTok pour la sécurité nationale, l’équipe de campagne de Joe Biden a investi le réseau social en vue de la présidentielle. Son compte a été officiellement lancé le 11 février dernier à l’occasion du Super Bowl. Objectif : atteindre les jeunes électeurs, alors qu’une étude du Pew Research Center, relayée par le site d’information Axios, révèle que près d’un tiers des Américains âgés de 18 à 29 ans s’informent via TikTok. La vidéo, intitulée « Lol hey guys » (« Mdr, salut les gars »), totalise pour l’heure presque 10,5 millions de vues.
De son côté, après avoir voulu son interdiction il y a quatre ans, Donald Trump s’y dit désormais opposé. Le candidat républicain à la Maison Blanche estime qu’une telle interdiction aiderait Facebook, qu’il accuse d’avoir triché lors de la dernière présidentielle. « Si vous vous débarrassez de TikTok, Facebook et Zuckerschmuck doubleront leur chiffre d’affaires », a-t-il déclaré sur son réseau social Truth.