Cheikh Diop, Sg de la Cnts/Fc : «Des efforts ont été faits, mais il y a un problème de mise en œuvre»
La fête du 1er Mai se déroule dans un contexte marqué par la cherté de la vie et des conditions de travail difficiles malgré les efforts qui sont faits par l’Etat, comment analysez-vous tout cela ?
Le 1er Mai se tient dans un contexte économique extrêmement difficile qui affecte le monde du travail sur tous les plans. Néanmoins, c’est une fête importante que nous allons célébrer comme d’habitude, en mobilisant et en brandissant nos revendications. Il n’en demeure pas moins que les difficultés sont là, plus que d’actualité, et on portera les revendications. Il faut reconnaître que durant l’année syndicale écoulée, quelques revendications ont été prises en charge. Elles sont de deux ordres : il y a les revendications transversales et celles sectorielles. Les revendications transversales concernent l’ensemble du monde du travail et portent généralement sur le panier de la ménagère, le pouvoir d’achat des travailleurs, des populations, mais également sur les questions d’équité, de justice sociale, des entreprises en difficulté et le passif social. Sur cet aspect, il y a eu des efforts qui ont été faits pour le panier de la ménagère, il y a eu baisse des denrées de première nécessité, mais malheureusement, dans la mise en œuvre, les travailleurs ne l’ont pas sentie. L’Etat a fait aussi des efforts sur le pouvoir d’achat, il y a eu beaucoup d’augmentation au niveau salarial, mais là aussi, il y a un problème de mise en œuvre. Et cela fait sortir beaucoup de travailleurs de leur réserve, tel le Collectif des 17 ministères qui se fait entendre parce qu’il y a parmi eux des ayants droit de cette mesure qui n’en bénéficient pas. Il y a également les travailleurs du secteur primaire, des travailleurs du secteur de la santé qui se font entendre. Il en est de même dans le secteur des collectivités territoriales. Parce que de bonnes mesures sont prises par l’Etat, avec des augmentations, mais c’est la mise en œuvre qui pose problème. Nous devons travailler pour que les décisions prises par l’Etat soient correctement appliquées.
Il y a des entreprises en difficulté, elles sont nombreuses, mais je vais juste prendre l’exemple de Patisen, qui compte près de 5 mille travailleurs, et la Sonacos, qui compte à peu près autant de travailleurs. Toutes les usines de la Sonacos sont à l’arrêt. Au niveau de Patisen, il y a d’énormes difficultés de productivité parce que tout simplement elle importe les produits de base de ses usines. Il s’agit du sel, du sucre et de l’arachide. Le Sénégal produit du sel, du sucre et de l’arachide, mais l’organisation du marché est telle qu’on ne satisfait pas la demande locale, et on exporte. Les Chinois viennent chercher de l’arachide pendant que Patisen en a besoin, c’est de l’ordre de 15 à 20 mille tonnes de sucre, de sel et d’arachide.
Ce qui est un paradoxe ?
La revendication principale est que pour ces produits-là, qu’on donne la priorité à l’industrie locale ; quand on aura satisfait la demande de l’industrie locale, le surplus on l’exporte. Mais on ne peut pas accepter qu’on exporte le sel de Fatick, du Saloum pendant qu’on en a besoin au Sénégal. Il en est de même pour l’arachide et le sucre. Voilà des questions que nous devons régler pour la productivité des industries locales. Ça pose problème, et la conséquence c’est que ces industries sont en difficulté.
Vous avez parlé des entreprises en difficulté, quelles sont les autres revendications ?
Il y a la question de la révision des textes obsolètes tels que les conventions. Le Sénégal a fait des efforts, l’année dernière, 5 conventions ont été révisées (…). Pour le passif social, il faut remercier le chef de l’Etat qui a pratiquement apuré le passif social des chemins de fer, du secteur du nettoiement, d’Air Afrique et de la Sotrac. L’Etat a débloqué, pour ce dernier volet, près de 13 à 14 milliards pour régler ce passif social. Il y a des revendications sectorielles dans la Justice, l’Untj est en grève et nous ne trouvons pas le moyen de discuter, de négocier. Il y a également dans le secteur de l’hôtellerie, ce qu’on appelle «l’équivalence» qui date du temps colonial et qui fait que les travailleurs font des heures supplémentaires qui ne sont pas payées. Et nous nous battons pour la suppression de cette «équivalence» et que les heures supplémentaires soient payées ; jusqu’ici, il y a des problèmes d’application.
On sort de deux années difficiles avec la crise liée à la pandémie du Covid-19, est-ce que cette année, il y a une petite éclaircie dans la grisaille ?
La situation est difficile, mais elle est pleine d’enseignements. Le secteur de l’hôtellerie a été lourdement secoué par la pandémie et d’ailleurs, ça fait partie de nos revendications qu’on reprenne les travailleurs qui ont été licenciés. Il est évident que cette année est encore plus difficile que les années passées, parce qu’il y a la pandémie qui n’est pas totalement terminée, la crise en Ukraine qui a rendu très difficile l’économie mondiale. Il faut dire que le plus important au moment où nous abordons la relance de l’économie, c’est de tenir compte de deux enseignements du Covid-19. La pandémie nous a enseigné qu’aucun pays, si fort soit-il, ne peut se passer de la solidarité, aucun pays, si faible soit-il, ne démérite la solidarité. Le Covid-19 a également enseigné la valeur du travail. Nous pensons que la valeur du travail et la solidarité doivent être intégrées dans la gouvernance de l’humanité. C’est pourquoi le monde du travail réclame un nouveau contrat social.