Ukraine: «Un drone d’une valeur de 100 euros peut détruire un char à 8 millions»
Les incidents impliquant des drones se multiplient ces derniers mois dans le conflit Russie-Ukraine. Moscou accuse les États-Unis d’avoir commandité l’attaque présumée de drones ukrainiens contre le Kremlin. « Un mensonge », selon Washington. Ces engins ciblent des bases militaires ou des infrastructures énergétiques, de part et d’autre des frontières. Entretien avec Franck Lefèvre, directeur des programmes de défense de l’ONERA (Office nationale d’études et de recherches aérospatiales).
RFI: Quelle distance les drones peuvent-ils parcourir ?
Franck Lefèvre : Ils peuvent parcourir plusieurs dizaines de kilomètres, selon leur autonomie. C’est très dépendant de la taille qu’ils ont. Il y a des drones de plusieurs mètres d’envergure, avec une motorisation suffisamment puissante (moteur thermique ou électrique) capables d’emporter des charges importantes sur de longues distances. Par ailleurs, on constate que le conflit en Ukraine montre qu’avec un drone acheté à une centaine d’euros, on détruit un char à 8 millions d’euros. C’est clairement cela qui est démontré en Ukraine.
Est-ce que ce conflit révèle la puissance militaire que l’on peut obtenir avec peu de moyens, mais beaucoup de dégâts ?
La présence de drones armés sur les théâtres d’opérations est de plus en plus importante comme en témoigne le conflit ukrainien et cela pose de nombreuses difficultés. Jusque-là, nous utilisions des drones pour faire de la reconnaissance. C’est Florence Parly qui a parlé de drones armés en premier en 2017, et c’est à ce moment que nous avons armé nos drones Reaper.
La difficulté à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est que ce sont des drones de petite taille capables d’emporter des charges pouvant faire beaucoup de dégâts. Ces drones sont difficiles à détecter, d’une part à cause de leur petite taille, mais également de leur composition soit en plastique, soit en matériaux composites, ce qui nécessite souvent une combinaison de plusieurs technologies de détection, les radars classiques seuls ou les technologies infrarouges, n’étant pas toujours suffisants ; par exemple les drones à moteur électrique émettent peu de rayonnement infrarouge et sont donc difficiles à détecter.
C’est une véritable difficulté quand on sait que ces drones sont en vente libre et donc à la portée de tous. Il suffit juste de les transformer pour en faire une arme. On a l’exemple du drone, qui n’était pas malveillant, mais qui est allé se poser aux pieds d’Angela Merkel : on n’ose pas imaginer ce qui aurait pu se produire s’il y avait une charge explosive à l’intérieur.
Le principal problème est donc la détection ?
En effet, et c’est précisément sur ce sujet que nous travaillons à l’ONERA. La détection d’un drone en milieu urbain est relativement complexe, c’est un milieu dense où il est difficile de discriminer un objet malveillant d’un autre objet. À noter également que la phase de neutralisation est, elle aussi, complexe suivant le milieu dans lequel le drone évolue. La destruction d’un drone en plein désert ne pose pas les mêmes problèmes d’effets collatéraux qu’en milieu urbain. Par conséquent, les phases de détection, reconnaissance, identification et neutralisation, sont complexes et nécessitent des moyens spécifiquement adaptés à ce type de cible.
À quel type d’équipement particulier faites-vous référence ?
L’ONERA travaille sur plusieurs systèmes de détection, considérant qu’une combinaison de technologies sera nécessaire face à une menace de ce type. Nous conduisons des travaux autour des technologies à base de radar. On distingue deux types de radars, les radars actifs qui émettent une onde électromagnétique qui vient se réfléchir sur le drone, ce qui permet sa détection. L’ONERA travaille également sur les radars dits passifs, c’est-à-dire que l’on utilise l’environnement électromagnétique qui existe, par exemple celui des réseaux de la téléphonie mobile. Ces ondes ambiantes viennent se réfléchir sur les drones en mouvement et le radar détecte ces signaux réfléchis. L’ONERA a développé cette technologie qui permet de détecter des drones de petite taille – quelques dizaines de centimètres d’envergure – à plusieurs kilomètres.
On développe également, à l’ONERA, des technologies optroniques, là encore de deux types, passives ou actives. Les systèmes dits passifs effectuent une observation classique de la scène soit en lumière visible, soit en lumière infrarouge. Nous développons également des systèmes optroniques actifs, à base de laser, appelés Lidar (Light Detection And Ranging), que l’on peut utiliser pour la détection des drones, en éclairant la scène avec un laser et en détectant les photons qui sont réfléchis par le drone.
Je le redis, la difficulté est de détecter, reconnaître et identifier et neutraliser, dans un environnement complexe tel que l’environnement urbain. Il faut arriver à discriminer les objets menaçants de ceux qui ne le sont pas. L’envergure d’un drone, c’est parfois proche de l’envergure d’un oiseau par exemple. Il faut donc des systèmes qui permettent de faire cette discrimination, et c’est pour cela qu’il est fort probable qu’un système de détection digne de ce nom soit un système qui combine plusieurs technologies, comme le radar et l’optronique par exemple.
C’est la raison pour laquelle l’ONERA travaille également la fusion de données provenant des différents types de capteurs, afin de délivrer aux opérationnels une information fiable, avec un taux de fausse alarme le plus faible possible, permettant ainsi d’identifier une cible menaçante. L’ONERA travaille également sur la montée en puissance des sources laser, une des applications possibles étant la neutralisation des drones.
Va-t-on être amenés à voir se multiplier des conflits « aux drones » ?
C’est fort probable. Le drone présente plusieurs avantages, pour l’assaillant, en vente libre, de faible coût et permettant d’opérer en toute sécurité. Les conditions sont réunies pour que ce type de menace prolifère