Ressources halieutiques: Pourquoi la pêche fait des vagues au Sénégal…

Ressources halieutiques: Pourquoi la pêche fait des vagues au Sénégal…

Essentiel à l’économie sénégalaise avec plus de 600 000 emplois, le secteur répond à 70 % des besoins nationaux en protéines. Mais la surexploitation menace et Dakar a promis d’intervenir. Retour sur les enjeux clés du moment.

Depuis l’élection de Bassirou Diomaye Faye, la renégociation des accords internationaux, notamment ceux de la pêcheentre l’Union européenne et le Sénégalfait partie des priorités du gouvernement. Ces accords autorisent une flotte européenne de moins de trente bateaux à capturer jusqu’à 10 000 tonnes de thons par an, en échange de 3 millions d’euros. Un montant jugé minime comparé aux 50 millions d’euros versés annuellement au Maroc pour des accords similaires. Outre la rétribution financière, un autre problème se pose : la capture de petits pélagiques (sardinelles, chinchards, maquereaux), utilisés comme appâts par les grands chalutiers pour la pêche au thon. Ces pratiques nuisent aux quelque 50 000 pêcheurs artisanaux et perturbent la consommation locale. L’ONG de protection de l’environnement Greenpeace décrit cette situation comme une « concurrence déloyale », ayant entraîné une augmentation des importations de poissons de plus de 400 % entre 2017 et 2020.

1. Pourquoi la pêche est-elle au centre des enjeux économiques actuels ?

Avec 400 000 tonnes de captures annuelles, ce secteur contribue à 3,2 % du PIB sénégalais et emploie environ 600 000 personnes, soit 17 % de la population active, selon les chiffres de l’ONU. Essentielle à la sécurité alimentaire, la pêche fournit 70 % des protéines animales consommées par la population locale. De plus, avec des exportations de produits halieutiques estimées à 250 millions de dollars par an, elle est une des principales sources de devises étrangères du pays. Pour l’économiste Magaye Gaye, « les gains actuels sont bien en deçà du potentiel ». D’après les calculs d’un conseiller en planification et aménagement des pêches et de l’aquaculture contacté par Jeune Afrique, « en maximisant le potentiel du secteur par l’amélioration des exportations, la réduction des pertes, l’attraction d’investissements et la lutte contre la pêche illégale, le pays de la Teranga pourrait augmenter ses revenus annuels de 250 millions de dollars et atteindre une fourchette de 500 à 675 millions de dollars ».

2. Quelles initiatives l’équipe de Bassirou Diomaye Faye a-t-elle déjà prises ?

La nouvelle administration a publié le 7 mai la liste des navires autorisés à pêcher dans les eaux territoriales. « Les gouvernements précédents avaient systématiquement négligé toutes les sollicitations en ce sens. Nous attendions cela depuis cinq ans », rappelle Aliou Ba, représentant de Greenpeace. Précisément, ce document répertorie 132 navires industriels sous pavillon sénégalais, 19 navires étrangers et plus de 17 400 pirogues artisanales. Toutefois, plusieurs acteurs du secteur dénoncent le fait que nombre de ces navires industriels, officiellement enregistrés sous pavillon sénégalais, sont en réalité contrôlés par des intérêts étrangers utilisant des prête-noms. Un rapport publié en octobre 2023 par l’ONG Environmental Justice Foundation (EJF) avait déjà confirmé cette information, révélant que 23 % des navires enregistrés au Sénégal sont en réalité détenus par des Espagnols, 6 % par des Italiens et 20 % par des Chinois. « Obtenir [cette liste officielle] constitue une première étape essentielle. Il est maintenant crucial de systématiser la démarche d’audit du pavillon, et de faire le tri. Nous devons revoir la manière dont ces licences sont délivrées et annuler celles qui ont été accordées dans des circonstances douteuses », estime le responsable de l’Union patronale des marayeurs exportateurs (Upames). Fatou Niang Ndiaye, directrice générale de la Société de pêche et d’armement sénégalais (Sopasem) et trésorière du Groupement des armateurs et industriels de la pêche au Sénégal (Gaipes), observe quant à elle une corrélation entre l’attribution massive des licences qu’elle juge « douteuses » et les périodes préélectorales, avec un pic notable en 2011, 2018, et 2023. « Ces pratiques, profitant à certaines élites des gouvernements précédents à la veille des périodes électorales, doivent être sanctionnées pour empêcher leur perpétuation », souligne-t-elle. Une remarque qu’a également formulée le porte-parole de Greenpeace, suggérant que certaines élites au pouvoir profitaient de ces périodes charnières et du manque de surveillance pour « faire des affaires ». De nombreuses plaintes dénonçant ce phénomène avaient effectivement été adressées à l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), notamment contre l’ancien ministre de la Pêche, Pape Sagna Mbaye. Toutes sont restées lettre morte.

3. Une renégociation des accords de pêche avec l’Union européenne (UE) est-elle imminente ?

Le 22 mai, le Premier ministre Ousmane Sonko a réaffirmé la nécessité de réexaminer les accord actuels, en écho à la visite de Charles Michel à Dakar, où ce dernier a promis une « coopération améliorée » entre les deux partenaires. Jean-Marc Pisani, ambassadeur de l’Union européenne au Sénégal, assure quant à lui que « l’UE n’a rien à cacher. L’accord de partenariat de pêche sera mené de manière équitable, étant donné qu’il est public, transparent et accessible à tous ». Un comité chargé de suivre ce dossier a par ailleurs été mis en place sous la houlette de la nouvelle ministre de la Pêche, Fatou Diouf, aux côtés du directeur de la pêche maritime et du directeur du Centre de recherche océanographique de Dakar. Pourtant, et alors que l’accord actuel expire en décembre, définir de nouveaux termes avant cette échéance s’avère de plus en plus compliqué. Selon une source au sein de la Commission européenne, les discussions avec les instances consultatives ne font plus partie de l’ordre du jour, tout processus de renégociation étant gelé.

4. Pourquoi l’UE a-t-elle adressé un avertissement au Sénégal ?

À la suite de la publication de la liste des bateaux autorisés à pêcher, la Commission européenne a délivré, le 28 mai, un « carton jaune » au Sénégal, remettant en question « la fiabilité du système de traçabilité » des produits, dénonçant un manque de volonté dans la lutte contre la pêche « illicite, non déclarée et non réglementée » (INN) et soulignant des pratiques qu’elle considère comme « illicites ».

Or, comme le précise Julien Daudu, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest pour l’ONG Environmental Justice Foundation (EJF), « toute renégociation semble impossible tant que le carton jaune reste en vigueur ». Pis encore, si aucune amélioration n’est apportée, le pays pourrait recevoir un « carton rouge », ce qui entraînerait une interdiction pure et simple d’exporter ses produits marins vers l’UE.

« L’Europe est notre plus grand client par la valeur marchande. Nos échanges sont particulièrement rentables, car nous y exportons nos poissons les plus onéreux tels que le merlu, la sole ou le poulpe. Une rupture de ces échanges serait désastreuse pour le Sénégal », explique Makhtar Thiam, représentant de l’Upames. Dans l’autre sens en revanche, et comme l’explique l’expert de l’EJF, l’impact sera moins important pour les Européens. « Même si les navires européens n’auront plus accès aux eaux sénégalaises, l’UE respectera ses besoins de capture et ira pêcher ailleurs », précise-t-il.

Pour permettre à son partenaire de longue date de rectifier la situation, la Commission a entamé un dialogue formel avec Dakar. Fatou Niang Ndiaye, DG de la Sopasen, ne considère pas cet avertissement comme un moyen de pression, mais comme une incitation justifiée à améliorer la transparence. « Cette alerte devrait même accélérer les audits déjà en cours », affirme-t-elle.

5. Le Sénégal doit-il mieux réglementer les navires chinois ?

Parmi les chalutiers ayant bénéficié de ces licences, un grand nombre sont chinois. Selon un document officiel et les données satellites consultées par Jeune Afrique, les navires Yifeng 15, 16, 17 et 18, ainsi que Lu Jiao Nan Yuan Yu 107, 108, 109 et 110 opèrent tous sous pavillon sénégalais ou gambien via des sociétés-écrans. « Le Sénégal est la quatrième destination des navires chinois », remarque Julien Daudu, en rappelant qu’ « aucun accord de pêche n’a été conclu à ce jour entre le Sénégal et l’empire du Milieu ». « Une pratique qui, selon lui, complique la traçabilité, crée une concurrence déloyale, et porte, encore une fois, préjudice aux pêcheurs locaux, mais aussi à ceux de la sous-région. Comme l’explique la dirigeante du Gaipes, « via les sociétés-écrans sénégalaises, les chalutiers chinois vont jusqu’à pêcher dans les eaux sous-régionales, car le thon est une espère migratrice. Face à cette situation, il est essentiel d’adopter une stratégie sous-régionale et d’harmoniser les politiques pour garantir le respect des quotas ».

Amadeus

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