Libye: à Derna, les habitants vivent toujours avec leurs traumatismes des inondations de 2023
Retour à Derna, neuf mois après la tempête Daniel qui a fait une dizaine de milliers de mort et de disparus en septembre dernier dans l’est de la Libye. Il s’agit de la ville la plus touchée, en raison de l’effondrement de deux barrages qui en ont rasé une partie. Les autorités de l’est libyen, dirigées par le maréchal Khalifa Haftar, multiplient les chantiers, dont les habitants se félicitent, mais sans toutefois oublier le drame subi.
Appuyé sur la devanture de son café, Mohamed Nasser est aux premières loge pour voir Derna revivre. Son commerce appelé Renaissance est installé au cœur d’un jardin public. Les enfants s’amusent à glisser sur les toboggans, sous l’œil des parents sirotant leur café. Il se réjouit de la rapidité des travaux depuis neuf mois. « L’emplacement est mieux que l’ancien. Les bénéfices sont meilleurs, de l’ordre de 60 %. Tout ce que l’État a réalisé, les jardins, la reconstruction de la ville, franchement, ce n’était pas prévu. »
Au lendemain de la catastrophe, les habitants avaient manifesté leur colère contre l’incurie des autorités. Aujourd’hui, la colère s’est apaisée mais n’a pas disparue. Fatma est venue avec ses cinq petits enfants profiter du jardin et du café de la Renaissance. Elle apprécie les efforts de reconstructions, mais l’herbe verte et les toboggans ne feront pas disparaître son traumatisme.
« Le jour de l’inondation, j’étais chez moi. J’ai passé une heure à prier Dieu. J’ai passé une heure, la tête collée au plafond de ma cuisine. J’ai tellement prié que j’avais soif, que j’ai bu l’eau des inondations. L’eau était boueuse », se souvient-elle.
Pour faire naître cette nouvelle Derna, le fonds de reconstruction peut compter sur son président, Belkasem Haftar. Le fils de Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est, n’hésite pas à faire jouer de ses relations. L’ingénieur Abdoussalem Triki en charge de rénover l’université peut en témoigner. « Il n’y a pas beaucoup de matériel de construction disponible sur le marché local. Donc, le fonds a donné l’ordre aux autorités de donner la priorité aux sociétés qui travaillent pour la reconstruction de Derna », explique-t-il. Les autorités veulent que tous les gros chantiers soient finis avant la fin de l’année, pour la fête nationale du 24 décembre.
« Les enfants dessinent leurs proches décédés dans l’inondation »
Le pouvoir a donc lancé de grands travaux de reconstruction, mais les séquelles demeurent, notamment chez les enfants. La région Est de la Libye n’a pas le nombre de psychologues ni les structures adaptées pour les aider. L’association Tamouch tente de pallier ce manque. Elle a pour but, à l’origine, d’éveiller les enfants à l’art. Depuis neuf mois, l’association utilise notamment le sport et l’art comme outil thérapeutique pour les enfants, comme le raconte l’artiste bénévole Hind Tarrtaia.
« La première chose que nous proposons aux enfants, ce sont des activités sportives, pour essayer de leur faire oublier les pensées négatives. Ensuite, on leur donne des crayons et des feuilles pour dessiner. On regarde si leurs dessins sont liés à la tempête Daniel. Parfois, ce n’est plus le cas. Parfois, ça l’est encore. Dans ce cas, nous aidons les enfants à exprimer leurs sentiments. Nous les entourons d’affection et nous les interrogeons sur ces sentiments. Nous essayons de les réconforter. Ils ne doivent pas sentir qu’on cherche à le réconforter psychologiquement », indique l’artiste.
« Nous essayons de voir ce que ses dessins signifient pour lui. Dans certains cas, bien sûr, c’est évident, ils dessinent leurs proches décédés dans l’inondation. Une petite fille a tenté de se suicider. Elle a sauté d’une fenêtre parce qu’elle voulait rejoindre son amie, morte pendant la tempête », confie-t-il.
RFI