UE: «Le poids de l’extrême droite au Parlement est insuffisant pour provoquer un changement vis-à-vis de l’Afrique»

UE: «Le poids de l’extrême droite au Parlement est insuffisant pour provoquer un changement vis-à-vis de l’Afrique»

La relation Europe-Afrique est en question après la poussée de l’extrême droite aux élections européennes du 9 juin et l’arrivée du Premier ministre hongrois Viktor Orban à la présidence de l’Union européenne. Les acquis du sommet de Bruxelles de 2022 sont-ils en danger ? La politique migratoire de l’Union européenne va-t-elle se durcir ? Guillaume Arditti est le fondateur du cabinet de conseil Belvedere Advisory et chercheur associé à l’Institut Jacques Delors. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Guillaume Arditti, il y a deux ans, au sommet de Bruxelles, l’Union européenne (UE) a promis une enveloppe de 150 milliards d’euros pour développer les infrastructures en Afrique. Est-ce que la poussée de l’extrême droite aux élections européennes du 9 juin peut remettre en cause cette promesse ?

Guillaume Arditti : Je pense que, sur la poussée de l’extrême droite, s’il y a eu une poussée en France qui a été extrêmement notable, lorsqu’on regarde ce qu’il se passe au niveau du Parlement européen, en fait, on passe d’une présence de l’extrême droite qui est représentée à un peu plus de 20% en 2019 à un peu moins de 25% aujourd’hui. Donc, je pense que ce sera assez difficile dans la mesure où le poids que les groupes d’extrême droite représentent au Parlement n’est pas suffisant aujourd’hui pour provoquer un changement drastique de la politique de l’Union européenne vis-à-vis du continent africain. Et du côté gouvernemental, quand bien même Viktor Orban soit arrivé à la présidence du Conseil de l’Union européenne, ça reste un phénomène qui est conjoncturel. On est sur un hasard du calendrier qui fait que Orban arrive au même moment où on voit que les extrêmes sont en train de se renforcer. Néanmoins, il ne faut pas surestimer le rôle qu’il peut jouer dans un poste qui finalement va durer six mois. Et donc, le poids qu’il va avoir ne doit pas être surestimé.

Deux ans après le sommet de Bruxelles, quels sont les secteurs où l’Europe et l’Afrique peuvent développer aujourd’hui leur partenariat ?

Je pense que, là, aujourd’hui, ce qui est en train de se produire, c’est un changement qui est induit par la crise qu’on connait actuellement avec la guerre en en Ukraine. La conséquence que ça a eue, c’est une prise de conscience au niveau de l’Union européenne d’une forme de vulnérabilité sur des problématiques de souveraineté qui sont extrêmement importantes. Donc, le premier élément, évidemment, qui a été mis à jour, c’est la dépendance énergétique. Le deuxième, c’est la vulnérabilité par rapport à l’approvisionnement en métaux critiques qui sont un élément essentiel pour la transition. Et le troisième, c’est la volonté de réindustrialiser l’Union européenne à un moment où la dépendance vis-à-vis de la Chine est devenue un point de vulnérabilité extrêmement fort. Donc, tous ces éléments-là sont en train de militer en faveur d’un changement, je pense, assez profond, au sein de l’Union européenne. Donc, ce n’est pas encore très visible, mais qui se retranscrit quand même dans la déclaration qui avait été faite en 2022 lors du 6e Sommet – qui avait donné lieu à ce paquet de 150 milliards – où le Parlement européen avait bien dit qu’il fallait aujourd’hui dépasser la relation de donateurs-bénéficiaires.

C’est-à-dire qu’il ne faut plus inscrire Europe-Afrique dans une relation entre celui qui donne et celui qui reçoit, mais dans une relation entre partenaires qui peuvent se développer conjointement ?

Absolument ! C’est-à-dire que, jusqu’à maintenant, la relation avec le continent africain était marquée par un discours disant qu’il fallait saisir des opportunités de croissance, des relais de croissance en Afrique. L’opportunité, c’est une optionnalité : c’est-à-dire qu’on peut la saisir ou on peut ne pas la saisir. En revanche, ça n’est pas une nécessité. Et, aujourd’hui, on est en train de réaliser que la relation avec le continent africain est une nécessité. Par exemple, quand on parle de trouver des alternatives en termes énergétiques, évidemment, plutôt que d’importer du gaz liquéfié des États-Unis, ça a beaucoup plus de sens de trouver des alternatives au niveau des développements en Afrique du Nord, les développements récents en Mauritanie, au Sénégal ou encore d’autres développements au Mozambique.

Ça, c’est pour satisfaire les besoins en énergie en Europe. Et pour faire face aux changements climatiques ?

De la même façon qu’il faut trouver ces alternatives pour renforcer l’indépendance au niveau énergétique, il faut trouver aussi des métaux critiques pour renforcer l’indépendance par rapport au modèle chinois et au partenariat avec la Chine. Or, on réalise que les métaux critiques se trouvent très largement en Afrique. Le cobalt est souvent l’exemple le plus mis en avant avec des réserves qui sont de 70% quasiment en République démocratique du Congo. Mais on pense aussi à des métaux comme le manganèse, le graphite, le cuivre ou encore du nickel : des métaux critiques qui sont indispensables à la fois là pour la production de turbines éoliennes ou la production de batteries pour des véhicules électriques.

À la suite des élections européennes du 9 juin, les eurodéputés d’extrême droite de 12 pays, notamment ceux du Rassemblement national en France et ceux du Fidesz en Hongrie, viennent de constituer le groupe Patriotes pour l’Europe, qui sera la troisième force du Parlement européen. Est-ce que ça veut dire que l’Union européenne va durcir sa politique migratoire ?

Là encore, je pense que ça rejoint le début de notre conversation sur le point qui est donné à l’extrême droite au niveau du Parlement européen. En termes de poids, finalement, l’Union pour les Patriotes, quand on regarde par rapport à la situation précédente, c’est plus une recomposition de l’extrême droite qui est en train de se faire sur une ligne de fracture d’ailleurs entre des pro-Kiev et des pro-Moscou, plutôt qu’un changement fondamental sur le poids de l’extrême droite au sein de l’Union européenne. Donc, moi, il me semble que l’importance qui est accordée à l’union Patriotes et à l’influence qu’elle pourrait avoir sont un petit peu surestimées actuellement.

Amadeus

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