«Vladimir Poutine a effacé des dettes souveraines pour inciter des pays africains à acheter des armes russes»
La Russie est de longue date le premier fournisseur d’armes sur le continent africain, et de loin. Sur la période 2017-2021, 44% des importations venaient de Russie, contre 17% des États-Unis, 10% de Chine et 6% de France. Dans une étude, le centre belge Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip) s’est penché sur l’évolution de ces liens commerciaux. Et constate que malgré l’invasion de l’Ukraine et les sanctions occidentales, les fournisseurs russes demeurent très bien implantés. Entretien avec Agatha Verdebout, chargée de recherche au GRIP et auteure de l’étude « Ventes d’armes russes en Afrique : les effets contrariés des sanctions occidentales ».
RFI : Comment expliquer la place prise par la Russie dans la vente d’armes en Afrique ?
Agatha Verdebout : Il y a eu de nouveau une ouverture vers l’étranger avec l’arrivée de Vladimir Poutine et cette volonté finalement de restaurer la Russie à sa place de puissance mondiale. Et ça, ça passait notamment pour Vladimir Poutine par le fait de relancer les exportations d’armes. Et le marché africain est un marché qui était assez ouvert parce que c’est un marché qui n’est pas fort investigué ou utilisé par les Européens. Aussi parce que les Européens sont tenus à des règles plus strictes a priori que la Russie en matière de respect des droits humains dans les pays où ils vendent des armes, etc. La Russie est un peu moins contrainte de ce point de vue-là.
Vous parlez des ventes d’armes comme d’un élément pivot de la stratégie de Moscou.
Oui, et une des tactiques utilisées par la Russie quand elle a recommencé à se projeter sur le marché africain des armements, ça a été d’offrir d’autres bénéfices en échange ; c’est-à-dire qu’il n’y a pas eu juste des ventes d’armes. Il y a eu la relance justement de la coopération économique et culturelle. Il y a eu beaucoup d’effacements de dettes. Du coup, Vladimir Poutine a effacé des dettes souveraines qui dataient de l’époque soviétique pour justement favoriser ou inciter les pays du continent africain à acheter russe plutôt que qu’américain ou français, par exemple.
Néanmoins, votre conclusion, c’est que les sanctions occidentales n’ont eu qu’un effet limité sur les exportations russes. Comment est-ce qu’on peut l’expliquer ?
Déjà, il faut comprendre que le but des sanctions, a priori, ce n’est pas d’impacter les exportations. Le fait que cela impacte les exportations d’armes, c’est une sorte d’effet collatéral. Le but des sanctions, c’est d’impacter la production d’armements en Russie pour éviter que ces armes ne soient envoyées vers le front.
La Russie a réussi quand même à maintenir un certain approvisionnement pour son industrie de la défense dans les composants dont elle a besoin pour cette industrie.
Il a donc une grosse capacité d’adaptation ?
Il y a une grosse capacité d’adaptation d’une part aux sanctions et puis ce qu’il ne faut pas sous-estimer, c’est la capacité de l’industrie de l’armement russe à abaisser les besoins technologiques de ces armements. C’est-à-dire qu’ils ont la capacité de modifier les armes qu’ils ont pour pouvoir se passer de composants hautement technologiques ou hautement complexes.
Malgré l’invasion de l’Ukraine et les sanctions occidentales, les fournisseurs russes demeurent très bien implantés en Afrique
Si la domination russe sur le marché africain des armes s’érode, elle ne chute pas malgré la nécessité pour Moscou de fournir massivement le front ukrainien, et malgré les sanctions visant à handicaper le secteur de l’armement. Pour l’auteure de l’étude du Grip, ce maintien s’explique pour deux raisons : la capacité de l’industrie russe à s’adapter aux sanctions, en trouvant notamment de nouveaux fournisseurs de technologie, et l’importance que le Kremlin accorde à ses partenaires africains, pour des raisons diplomatiques et de communication. Ce secteur est une vitrine industrielle et un élément « pivot » de la stratégie russe.
Vladimir Poutine a souhaité revitaliser les réseaux hérités de l’URSS, et à côté de clients « historiques », comme l’Algérie ou l’Égypte, des contrats ont été signés avec des États comme le Nigeria, tandis que la Russie prenait pied de manière importante en Centrafrique ou au Mali. Moscou multiplie les « opérations de séduction » à l’égard des dirigeants du continent. En témoignent les tournées répétées du chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, la dernière au Kenya, au Burundi, au Mozambique et en Afrique du Sud. Le prochain sommet Russie-Afrique, fin juillet à Saint-Pétersbourg, verra la signature de nombreux contrats de partenariats, y compris dans le secteur de la défense.