Le Président Macky Sall, démocrate à l’étranger, intransigeant au Sénégal

Le Président Macky Sall, démocrate à l’étranger, intransigeant au Sénégal

Ce 19 septembre 2023, lors de la 78e session de l’Assemblée générale des Nations unies, c’est un discours d’adieu que prononce Macky Sall au pupitre. Deux mois plus tôt, le chef de l’État sénégalais a décidé de ne pas briguer de troisième mandat controversé – quand bien même il en aurait eu le droit, dit-il – et, le 9 septembre, il a donc confié la mission de porter les couleurs de la coalition au pouvoir, Benno Bokk Yakaar (BBY), à son Premier ministre, Amadou Ba.

Mais, à la tribune onusienne, il est très peu question de politique intérieure. Et s’il y a bien un domaine dans lequel Macky Sall a « marqué des points » en douze années de mandat, c’est celui de la diplomatie. Au début de février 2022, alors qu’il prend la présidence de l’Union africaine dans un contexte post-Covid et au tout début de la guerre russo-ukrainienne, le chef de l’État plaide avec vigueur en faveur de l’Afrique. Il réclame une répartition équitable des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI au profit du continent, ainsi qu’un siège permanent pour l’Afrique au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. Macky Sall joue de son influence et sa voix porte.

L’une de ses réussites diplomatiques reste l’entrée de l’Union africaine dans le G20, effective depuis septembre 2023. « Nous souhaitons que l’exemple d’inclusion ainsi donné par le G20 à l’initiative du Sénégal soit suivi par le Conseil de sécurité et les institutions de Bretton Woods », plaide-t-il encore une fois après avoir dénoncé « un système multilatéral, héritage d’un passé révolu, devenu obsolète ». Pour Mamadou Guèye, membre du secrétariat exécutif de l’Alliance pour la République (APR), le parti présidentiel, « Macky Sall a hissé le Sénégal au rang des grandes démocraties qui comptent à l’international ».

Tensions, divisions et duel sans concession
Cependant, les satisfecit obtenus sur la scène internationale, où le président sénégalais s’est parfois érigé en médiateur, comme dans le conflit russo-ukrainien, cachent mal les tensions politiques qui ont secoué le Sénégal sous sa présidence.

En témoignent les manifestations organisées le 17 septembre par des partisans proches de l’opposition sénégalaise tout près de son hôtel, à New York, où il venait d’arriver pour le rendez-vous onusien. « Il n’aura pas la carrière internationale qu’il espère après son départ du pouvoir parce que la communauté internationale observe, comprend et voit bien ce qu’est devenu le Sénégal : une dictature », peste Wally Bodian Diouf, cadre du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef).

La formation politique fondée en janvier 2014 par Ousmane Sonko – déjà condamné par contumace à deux ans de prison, en juin, dans une affaire de mœurs, puis inculpé, le 29 juillet, pour « appel à l’insurrection » – a été dissoute. Une première au Sénégal depuis la disparition du Parti africain de l’indépendance (PAI), en 1961. Illustration d’un recul démocratique du Sénégal sous Macky Sall, selon l’opposition, ou symbole d’un État intransigeant face à toute forme de subversion, selon la majorité, l’exclusion du maire de Ziguinchor du jeu politique est en tout cas l’épilogue d’un duel sans concession entre deux hommes qui n’a fait que s’exacerber tout au long du second mandat du chef de l’État, entamé en 2019.

Si le combat politique entre le président et l’opposant a rythmé le quotidien des Sénégalais ces trois dernières années, il a surtout contribué à les désunir encore plus. Une division déjà « consommée » lors des législatives de juillet 2022, à l’issue desquelles l’opposition a remporté pratiquement la moitié des sièges du Parlement. Sévère désaveu pour la majorité présidentielle. « Le Sénégal est divisé certes, mais ce n’est pas de la faute de Macky Sall. C’est à cause d’une opposition radicale qui n’a jamais voulu accepter les règles démocratiques », tente une source présidentielle. « La radicalité et la fermeté de notre discours répondaient à la déliquescence et à l’affaissement de l’État de droit au Sénégal », rétorque Wally Bodian Diouf.

Plan d’émergence et réformes
Lorsqu’il accède à la présidence en 2012, Macky Sall met en place une politique de grands projets d’infrastructures, parmi lesquels le chantier de la ville nouvelle de Diamniadio, celui du Train express régional (TER) et le déploiement du réseau de Bus Rapid Transit (BRT). À travers sa stratégie de développement économique, le Plan Sénégal émergent (PSE), l’État investit également dans la mise en œuvre de différents programmes sociaux, dont les bourses de sécurité familiale et l’élargissement de la couverture maladie universelle (CMU). La croissance est au rendez-vous. Et les bons résultats économiques permettent au président, à la tête d’une coalition forte et hétéroclite composée de forces de gauche comme le Parti socialiste (PS) et l’Alliance des forces de progrès (AFP), de Moustapha Niasse, de remporter ses premières batailles électorales.

La révision de la Constitution par voie référendaire, en 2016, s’inscrit parmi les actes forts du premier mandat de Macky Sall. Elle conduit principalement à la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans. Mais cette réforme instille le doute sur la tentation du chef de l’État de se maintenir au pouvoir, bien que l’intéressé assure, dès 2018, qu’il ne le fera pas. En 2019, au lendemain de sa réélection dès le premier tour, Macky Sall supprime par ailleurs la fonction de chef du gouvernement (jusqu’à ce que le poste de Premier ministre soit finalement rétabli, en novembre 2021).

Mais, en mars 2020, la pandémie de Covid-19 bouleverse le monde. Au Sénégal, les mesures restrictives imposées par l’exécutif pour lutter contre la propagation de la maladie nourrissent un fort sentiment d’injustice, en particulier au sein de la jeunesse en proie au chômage. D’autant que, comme tous les autres, le pays se trouve – et pour de longs mois – confronté aux conséquences économiques de la crise sanitaire.

Frustrations et défiance
À la faveur de consultations nationales qu’il engage pour faire face à cette situation, Macky Sall obtient, au fil des mois, le ralliement de plusieurs opposants, parmi lesquels l’emblématique ancien Premier ministre Idrissa Seck (« Idy »), leader du parti Rewmi. Alors que deux autres adversaires sont maintenus à l’écart du jeu politique – Karim Wade, fils de l’ancien président et figure centrale du Parti démocratique sénégalais (PDS), et Khalifa Sall, l’ex-maire de Dakar (le premier, condamné en 2015, le second, en 2018) –, l’entrée dans la coalition présidentielle du patron de Rewmi, alors chef de file de l’opposition, n’est pas comprise par l’opinion.

Ce ralliement d’« Idy » ouvre surtout la voie à un inspecteur des Impôts radié de la fonction publique, Ousmane Sonko, dont le discours frontal et radical charrie les frustrations des déçus de la gouvernance libérale de Macky Sall. Laquelle n’échappe pas aux scandales financiers, en particulier dans le cadre de l’affaire Petro-Tim, avec une enquête ouverte en 2019 impliquant Aliou Sall, le frère cadet du chef de l’État – soupçonné d’avoir détourné plusieurs milliards de dollars lors de l’attribution de blocs pétrogaziers, en 2012, il sera disculpé par la justice en décembre 2020 –, ou encore avec la mauvaise gestion du fonds de riposte anti-Covid, révélée par un rapport de la Cour des comptes en août 2022.

Le pays est sous tension. Depuis les premières manifestations liées aux démêlés judiciaires d’Ousmane Sonko, en mars 2021, les contestations populaires et leur répression polarisent la vie politique. En deux ans et demi, les violences feront au moins une trentaine de morts selon un bilan officiel et conduisent plusieurs organisations de défense des droits humains, telle Amnesty International, à exiger des enquêtes indépendantes.

Alors que l’opposition dénonce un acharnement de la majorité contre le maire de Ziguinchor dans le seul but de l’écarter de la présidentielle de février 2024, et que les doutes persistent sur la volonté réelle de Macky Sall de ne pas tenter de briguer un troisième mandat – doutes entretenus par le fait que le président sortant n’a alors toujours pas désigné de « dauphin » –, la défiance à l’égard de l’exécutif et des institutions s’intensifie.

Dialogue politique
Sous pression, Macky Sall organise un dialogue politique national, du 31 mai au 22 juin dernier, à l’issue duquel il réitère sa volonté de ne pas briguer de nouveau mandat. Mais il faudra attendre son allocution à la Radiotélévision sénégalaise (RTS), le 3 juillet, pour mettre fin aux spéculations et lever les doutes des uns et des autres. « Ma décision, longuement réfléchie, est de ne pas être candidat à l’élection, même si la Constitution m’en donne le droit […]. Le Sénégal dépasse ma personne, et il est rempli de leaders capables de pousser le pays vers l’émergence. »

L’annonce contribue à apaiser le climat politique, alors que le pays s’apprête à ouvrir la campagne officielle pour la présidentielle, à laquelle ne prendra pas part, non plus, le principal opposant du sortant, Ousmane Sonko. Contrairement à deux figures majeures de l’opposition. Karim Wade et Khalifa Sall peuvent en effet présenter leur candidature à la faveur d’une révision du code électoral adoptée par le Parlement le 5 août – à moins de sept mois du scrutin – qui les rétablit dans leurs droits civiques et politiques. Et la justice a ordonné, le 12 octobre, la réinscription sur les listes électorales d’Ousmane Sonko, qui en avait été radié. Jusqu’au bout, donc, Macky Sall aura réussi à gouverner et à changer les règles du jeu, tout en travaillant à affaiblir ses adversaires. Laissant derrière lui un vaste chantier : celui d’une démocratie en construction.

Jeune Afrique

Amadeus

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