Dettes fiscales de la Presse à la loupe d’un spécialiste du management des médias: Ibrahima Fall préconise l’émission d’avoirs fiscaux…
La question de la dette fiscale des entreprises de presse au Sénégal continue de faire des vagues. A ce propos, un spécialiste du management des médias Ibrahima Fall épluche la problématique et esquisse des solutions. Nous reproduisons in extenso sa production intellectuelle.
L’État du Sénégal réclame près de 40 milliards de nos francs à la presse, menaçant ainsi la survie financière des médias. Le secteur de la presse au Sénégal traverse une crise financière sans précédent. La Direction générale des impôts et des domaines (DGID) a engagé des procédures de
recouvrement pour des arriérés fiscaux qui s’élèvent à près de 40 milliards de francs CFA. Ce montant colossal a entraîné le blocage des comptes bancaires de plusieurs entreprises de presse, plongeant ainsi le secteur dans une situation de précarité extrême.
Cette situation critique a des répercussions directes sur la capacité des médias à fonctionner. Les entreprises de presse, déjà fragilisées par une conjoncture économique difficile et une baisse des revenus publicitaires, se retrouvent dans l’incapacité de payer leurs employés, de régler leurs factures ou d’investir dans de nouveaux contenus. Ce marasme financier menace non seulement la survie de ces entreprises, mais aussi la liberté de la presse et la qualité de l’information diffusée au public.
Proposition pour éviter l’effondrement du secteur
Face à cette crise, une proposition émerge pour éviter l’effondrement du secteur :
l’émission d’avoirs fiscaux. Cette stratégie innovante permettrait de réduire la pression fiscale sur les médias tout en soutenant le budget de l’État. Concrètement, les avoirs fiscaux seraient utilisés pour des ordres d’insertion et de publicité, que l’État mettrait à la disposition de ses différentes structures. Ces ordres de publicité permettraient aux médias de recevoir des fonds tout en promouvant les initiatives et les communications gouvernementales.
Pour l’État, cette solution présente plusieurs avantages. Premièrement, elle permet
de maintenir les recettes fiscales sans exiger des paiements immédiats en numéraire, ce qui pourrait être difficile à obtenir dans le contexte économique actuel.
Deuxièmement, en finançant ses campagnes de communication par le biais d’avoirs, l’État optimise son budget tout en soutenant les médias. Enfin, cette approche favorise un climat de coopération entre l’État et les entreprises de presse, essentiel pour une gouvernance transparente et une information fiable.
Certaines dispositions du code des marchés imposent aux structures de l’État de
faire des publications au niveau des médias. De plus, l’État a un besoin constant de mener des campagnes de sensibilisation dans le cadre de l’appropriation de ses politiques publiques. Une évaluation sans complaisance des besoins de
communication de toutes les structures permettrait de solder le passif des organes
de presse et de permettre un assainissement de la médiatisation des actions de l’État.
Cette évaluation permettrait également de rationaliser et de professionnaliser la
communication de l’État. Actuellement, la médiatisation des actions de l’État se fait
souvent pour valoriser le ministre ou le Directeur général, au détriment des actions elles-mêmes. Une approche plus stratégique et centrée sur les besoins réels de communication permettrait de mieux informer le public sur les politiques publiques et leurs impacts, tout en soutenant financièrement les médias.
Pour les médias, l’émission d’avoirs offre une bouffée d’oxygène indispensable. En recevant des fonds via des ordres de publicité, les entreprises de presse peuvent surmonter leurs difficultés financières immédiates. Cela leur permet de continuer à payer leurs salariés, d’assurer la production de contenus de qualité et de maintenir leur rôle de contre-pouvoir démocratique. De plus, cette solution renforce les relations entre les médias et l’État, ce qui peut favoriser un environnement plus stable et prévisible pour l’avenir.
Bien que l’émission d’avoirs semble être une solution viable à court terme, la question d’une amnistie fiscale complète reste d’actualité. Une telle mesure pourrait offrir une solution plus durable en annulant les arriérés fiscaux des médias, leur permettant ainsi de repartir sur des bases saines. Cependant, cette option nécessite
un consensus politique et des garanties de la part des médias quant à leur gestion financière future.
La mise en œuvre de l’émission d’avoirs n’est pas sans défis. Il est crucial de définir des mécanismes transparents et équitables pour l’allocation des ordres de publicité.
De plus, il faut veiller à ce que cette solution ne crée pas de dépendance excessive des médias vis-à-vis de l’État, préservant ainsi leur indépendance éditoriale. Un suivi rigoureux et une évaluation régulière de cette mesure seront nécessaires pour en assurer le succès.
La crise des dettes fiscales des médias sénégalais appelle à une réponse rapide et concertée. L’émission d’avoirs fiscaux apparaît comme une solution pragmatique qui pourrait équilibrer les besoins financiers de l’État et la survie des entreprises de presse. Cependant, cette solution doit être accompagnée de réformes structurelles
pour garantir la viabilité à long terme du secteur médiatique. Le dialogue et la collaboration entre l’État et les médias seront essentiels pour surmonter cette crise et renforcer le rôle crucial de la presse dans notre société. Une approche réfléchie et collaborative permettra non seulement de résoudre la crise actuelle, mais aussi de construire un environnement médiatique plus robuste et résilient pour l’avenir du Sénégal.
Ibrahima FALL
Titulaire d’un Master en Management des Médias de l’École Supérieure de
Journalisme (ESJ)