Guillaume Perrier journaliste français en reportage aux Canaries: « tous les jeunes que j’ai interrogés ici sont déçus du gouvernement de Macky Sall… »
L’île d’El Hierro, la + petite de l’archipel des Canaries, est depuis le début du mois en première ligne face à l’arrivée de migrants venus notamment du Sénégal. 500 personnes arrivent chaque jour en moyenne aux Canaries. Élus et médias parlent d’une Lampedusa de l’Atlantique.
Hier soir 3 pirogues sont arrivées sur le port de la Restinga en provenance du Sénégal et ont débarqué 413 personnes, y compris des enfants. La semaine dernière 280 personnes sur un seul cayuco, le nombre le plus important depuis 2006.
Plus de 5000 personnes ont débarqué depuis le début du mois. 10.000 de plus seraient à prévoir d’ici la fin d’année. El Hierro compte 10.000 habitants et se trouve rapidement débordée.
La Restinga est le point le plus au Sud de l’Europe. Donc le plus proche des pays africains d’où partent de plus en plus de pirogues. Le Sénégal est en ce moment le 1er pays de provenance.
Mais contrairement à Lampedusa, l’extrême droite ne vient pas faire campagne sur les quais d’arrivée d’El Hierro. Et comme à Lampedusa, la population balaye les fantasmes continentaux d’une invasion migratoire. Accueil et solidarité priment.
Il faut dire que les Canaries, comme Lampedusa ou comme les îles grecques du Dodecanese, sont d’abord des terres d’émigration où l’on sait ce que c’est que de partir pour survivre. El Hierro compte des expatriés au Venezuela, à Cuba, en Argentine, en Australie…
Ce qui ressort c’est le sentiment d’abandon du pouvoir central -ici Madrid, ailleurs Rome ou Athenes- qui a longtemps poussé les habitants à émigrer et qui aujourd’hui les laisse seuls face à un problème ancien, dont les causes sont complexes.
Si les Canaries connaissent aujourd’hui un tel afflux de migrants sénégalais c’est totalement lié à la situation politique et sociale au Sénégal où aura lieu une élection présidentielle le 25 février prochain.
Tous les jeunes que j’ai interrogés ici sont déçus du gouvernement de Macky Sall qui a dirigé le Sénégal pendant 10 ans et qui veut passer le témoin à son premier ministre. Tous sont des supporters d’Ousmane Sonko qui reste emprisonné et empêché de se présenter, pour le moment.
Les pirogues qui servent à effectuer cette traversée périlleuse (10 à 15 jours de mer) sont des bateaux de pêche. Mais la pêche est en crise depuis que le gvt senegalais a vendu ses côtes poissonneuses à l’UE et à la Chine. Beaucoup de jeunes pêcheurs partent.
Mais au-delà, c’est toute une jeunesse des faubourgs de Dakar et de St Louis qui quitte le pays. Une saignée pour le Sénégal, le signe d’un désespoir aux causes très concrètes.
La traversée coûte à chacun 400.000 francs CFA, soit 600€. Une somme importante surtout si l’on considère les risques de disparaître en mer (bcp plus élevés qu’en Méditerranée) ou d’être rapatriés à Dakar
Voici l’intérieur de ces pirogues arrivées hier soir et où voyagent jusqu’à 250 personnes pour les plus longues. L’intérieur est jonché de sacs, de vêtements de chaussures, de chambres à air… sur le sac à dos au premier plan: Freedom.
Par Guillaume Perrier, journaliste au Le Point